08 juin 2004

Darfour : tragique hypocrisie 

[Nicolas a su trouver les mots pour parler de notre coupable indifférence et de l'attitude déplorable du gouvernement français ; j'essaye modestement de creuser ici un peu plus le sillon]

Jeudi dernier, huit personnalités (dont Bayrou, Kouchner, Madelin, Rocard et Emma Bonino) lançaient un appel solennel aux autorités françaises pour qu'elles prennent les mesures nécessaires à faire cesser les massacres de masse qui ont fait déjà plus de 30 000 morts dans la région soudanaise du Darfour. Le texte paru dans le Figaro invitait plus précisement la France à inscrire la question à l'ordre du jour de l'ONU et à adopter une attitude très ferme face au gouvernment soudanais, une injonction réitérée hier par Emma Bonino dans Libération.

Michel Barnier a répondu, samedi, dans une tribune au Figaro intitulée "Soudan : nous agissons". Pas pour annoncer le changement de cap que beaucoup attendaient. Mais uniquement pour justifier une attitude plus conciliante vis-à-vis de Khartoum et prétendre que le conflit en cours est en voie de règlement, grâce en partie aux (rares) démarches entreprises depuis février dernier par la diplomatie française :
Ainsi, l'engagement du président [tchadien] Deby, avec l'appui concret de la diplomatie française, a abouti le 8 avril dernier à la conclusion d'un cessez-le-feu appuyé par le déploiement d'observateurs de la communauté internationale.

Ce déploiement sera salutaire, espérons-le de toutes nos forces. Présents sur le terrain, les observateurs pourront contribuer à stabiliser la situation dans le Darfour, à empêcher les violations du cessez-le-feu et les actions des milices, à faciliter l'action des opérateurs humanitaires et à encourager les populations à rentrer chez elles.

Grâce à l'action déterminée et à la réaction immédiate de l'Union africaine, ce déploiement est déjà effectif. Depuis hier des observateurs africains se trouvent dans le Darfour. Ils seront suivis sous peu par des observateurs européens et américains. Je me suis récemment entretenu avec le président de l'Union africaine, Joachim Chissano, pour lui confirmer que nous allions appuyer ce déploiement.
Cet argument (notons le plutôt inquiétant "espérons-le de toutes nos forces") est directement contredit par un éditorial du Washington Post paru hier matin (je traduis)
Certains font semblant de croire qu'une force de 60 à 100 observateurs de l'Union Africaine sera suffisante pour faire cesser les atrocités au Darfour, une région de la taille de la France. Ils feignent aussi d'espérer que le Soudan accordera un accès humanitaire sans entraves à la zone sans y être contraint.
Non, monsieur Barnier, la France n'agit pas, en tout cas agit peu, trop peu, trop tard. La tragédie est, comme le Washington Post le remarque, qu'il suffirait sans doute d'une pression véritable et concertée de l'Europe et des Etats-Unis pour faire reculer le gouvernement soudanais. Le règlement récent du long conflit entre le nord et le sud Soudan montre que le pouvoir en place à Khartoum est particulièrement sensible à la diplomatie de la carotte et du bâton.

L'histoire récente nous apprend aussi, hélas, que l'Afrique est loin, très loin, des préoccupations des électeurs occidentaux. Que la guerre au Congo (ex-Zaïre) a pu faire trois millions de victimes sans que les opinions publiques ne s'en émeuvent. Et l'on se dit que tous les reportages et les éditoriaux dans le New York Times, le Washington Post, The Economist, Le Monde ou Die Zeit paraissent bien dérisoires quand les journaux de 20H de France 2 et France 3 n'ont pas daigné accorder une seule seconde d'antenne à la situation au Soudan au cours du mois dernier.