31 janvier 2005

Directive Bolkestein, version originale 

Je ne suis ni assez qualifié ni assez informé pour avoir un avis définitif sur le bien-fondé de la fameuse (proposition de) directive européenne Bolkestein, qui vise à améliorer le fonctionnement du marché des services en Europe. Mais la façon dont la discussion a été monopolisée depuis des mois par les altermondialistes (et, par contagion, par une grande partie de la gauche) est assez dommageable pour la qualité du débat public à ce sujet. Il serait difficile de blâmer les opposants, qui ne font après tout que défendre une certaine idée du modèle social européen et reprennent les méthodes d'alerte précoce qui avaient si bien réussi du temps de l'Accord Multilatéral sur les Investissements. [Notons néanmoins que l'importance de la société civile dans l'échec de l'AMI est contestée : voir sur ce point la critique de Daniel Drezner dans Who Rules?, p 59-61, pdf]

Plus problématique était l'absence criante dans le débat des partisans de la directive, comme si la défense d'un marché plus concurrentiel en Europe équivalait au suicide politique (ou médiatique) en France. De fait, c'est un Néerlandais, le ministre de l'Economie Laurens Jan Brinkhorst, qui tente ce matin dans Libération un plaidoyer en faveur du principe, et des modalités d'application, de la directive Bolkestein.

L'argumentaire s'appuie d'abord, pour justifier le pincipe de la directive, sur un constat qui semble assez bien partagé : le marché des services en Europe est tout sauf unifié, en raison de diverses barrières administratives qui empêchent largement les entreprises d'un pays de proposer leurs services à l'étranger. Le défaut de concurrence est d'ailleurs particulièrement prononcé en France, où les barrière à l'entrée sont très élevées (voir le rapport du CAE "Productivié et emploi dans le tertiaire", notamment p 92-96).

S'il est nécessaire d'aller vers plus de concurrence (une option qui est loin d'être partagée à gauche, ce que je regrette), la directive est-elle une réponse adaptée? Au-delà du principe, les opposants font deux critiques majeures en texte : il contribuerait à démanteler les services publics (en ouvrant encore plus à la concurrence le secteur de l'éducation) et il affaiblirait considérablement le "modèle social européen", en soumettant les entreprises étrangères non aux réglementations sociale du pays de vente, mais à celles de leurs pays d'origine. Brinkhorst ne répond pas sur les services publics mais il relaye l'argumentaire de la Commission (qui a mis en place une FAQ très complète) concernant le principe du pays d'origine :
Concernant les aspects sociaux et la protection des travailleurs, la directive et son principe du pays d'origine respectent pleinement la législation européenne existante. La directive sur le détachement des travailleurs et le règlement sur la sécurité sociale gardent leurs pleins pouvoirs. Les règles nationales et européennes sur les conditions de travail et de durée du travail ne peuvent pas être contournées en invoquant le principe du pays d'origine. Ce qui signifie que lorsqu'une entreprise polonaise vient par exemple construire une maison aux Pays-Bas en détachant ses employés, les règles européennes et néerlandaises devront être respectées et ses employés polonais devront être payés au Smic ou au salaire négocié par une convention collective.
Je ne sais pas si cet argument est définitif. Comme toujours, le diable est dans les détails de la directive, dans sa transposition en droit interne et dans la jurisprudence subséquente de la CJCE. Mais la discussion a un peu progressé, par la correction d'une idée reçue.

Il y a quand même plusieurs points qui me dérangent dans le texte de Brinkhorst. D'abord une tendance à survendre les bénéfices de la directive :
Plusieurs études indépendantes (dont un rapport du Centre d'analyse économique français et du commissariat du Plan néerlandais) démontrent qu'une amélioration de la croissance économique de 1 % du PIB est possible avec un marché intérieur de services effectif. Une diminution substantielle du chômage (création de 2 à 3 millions emplois) et une innovation accrue en seraient le résultat. N'oublions pas que presque 70 % de notre richesse est produite dans le secteur des services.
Le chiffre de 1% du PIB me semble à première vue très suspect, d'autant que je ne trouve aucune référence à cette estimation dans le rapport du CAE (qui mentionne page 195 une hausse de 3 à 6% du niveau du PIB en Europe, mais certainement pas une augmentation de 1% du taux de croissance annuelle). Autre tic très dérangeant, l'invocation incantatoire des délocalisations pour justifier l'urgence de la réforme :
Sans directive «services», les délocalisations vers les économies émergentes comme la Chine et l'Asie s'accéléreront.
Une fois de plus, on en revient à une configuration déjà connue et assez dangereuse. L'ensemble de la gauche, la frange étatiste de la droite et les entreprises "rentières" se retrouvent alliées de circonstances pour refuser un plus fort degré de concurrence. En face d'eux, les libéraux s'allient aux entreprises qui cherchent à percer sur les marchés, au nom d'un idéal de concurrence et/ou d'un intérêt stratégique mais en usant d'une rhétorique clairement néo-mercantiliste (le péril jaune et les délocalisations). Et l'observateur allergique aux critiques simplistes de la concurrence et du libre-échange a bien du mal à choisir un camp.

NB : Mon indulgence relative et provisoire vis-à-vis de la directive Bolkestein ne va quand même pas jusqu'à l'acceptation du critère du pays d'origine dans le domaine des blogs. Il est à cet égard inadmissible qu'un blog hongrois mette à profit la faiblesse des salaires locaux et une délicatesse argumentative sûrement héritée des fondateurs du pays magyar pour tenter de décrocher une récompense chez AFOE. Défendez le modèle social français! Votez Ceteris Paribus (catégorie "Best New Weblog")!