07 avril 2005

Bolkestein, le retour 

Ca devient irritant. Libé consacre un intéressant dossier à la visite de Frits Bolkestein à Paris mais, comme tant d'autres, cafouille en cherchant à montrer la duplicité du gouvernement français concernant le projet de directive services :
Fin 2003, les capitales ont reçu un premier brouillon. «Nous avons signifié nos réserves à la Commission, qui n'en a pas tenu compte», assure-t-on de source française, qui souligne que Jacques Chirac avait appelé à la «vigilance» dès le 21 janvier dernier.

La vérité est un peu moins flatteuse : fin 2003, quand le SGCI, le comité interministériel chargé de coordonner les positions françaises à Bruxelles, fait connaître ses réticences, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin n'en tient pas compte. Les commissaires français, le socialiste Pascal Lamy et le chiraquien Michel Barnier, ne sont donc pas mis en garde et approuvent le texte comme un seul homme, tout comme leurs collègues étrangers.
Au mieux, ce paragraphe est très mal formulé et risque de laisser une impression fausse. Il faut donc le répéter : les commissaires européens ne sont pas les représentants de leurs Etats d'origine à la Commission. Il me semble bien qu'il y a un texte qui précise tout ça. Ah, oui :
2. Les membres de la Commission exercent leurs fonctions en pleine indépendance, dans l'intérêt général de la Communauté.

Dans l'accomplissement de leurs devoirs, ils ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucun gouvernement ni d'aucun organisme. Ils s'abstiennent de tout acte incompatible avec le caractère de leurs fonctions. Chaque État membre s'engage à respecter ce caractère et à ne pas chercher à influencer les membres de la Commission dans l'exécution de leur tâche.
Extrait du
Traité instituant la Communauté européenne (TCE), article 213, alinéa 2 (pdf). On peut certes arguer que si la France avait fait état de ses réserves de façon plus vive à l'époque, certains commissaires (pas nécessairement les commissaires français) auraient demandé à ce que le texte soit amendé avant qu'il ne devienne la position officielle de la Comission. C'est effectivement possible.

Mais arrêtons de laisser croire que les votes de Lamy et Barnier le 13 janvier 2004 nous renseignent sur la position française de l'époque (contrairement aux discussions préliminaires devant le Conseil les 11 mars et 25-26 novembre 2004). Il n'y a d'ailleurs aucune contradiction à ce que Michel Barnier approuve la directive en 2004 en tant que commissaire européen, puis la dénonce en 2005 en tant que ministre des Affaires étrangères français. Dans le premier cas, il était le gardien de l'intérêt général européen. Dans le second, celui des intérêts de la France. Il est parfaitement envisageable que les deux puissent diverger.