22 mars 2006

CPE : l'approche britannique 

Le compte-rendu (sur le blog de Dimitri Houtcieff) du débat sur le CPE organisé lundi à l'université d'Evry est clairement l'un des meilleurs textes disponibles pour appréhender les enjeux juridiques et économiques de la mesure. Mais puisque que Michèle Bonnechère (professeur de droit privé) invitait à parler du droit du travail "avec précision", il me semble important de préciser certains de ces propos concernant l'état du droit au Royaume-Uni :
Enfin, le CPE place la France dans l’isolement. : on peut faire la comparaison avec les autres pays. Avec cette période de deux ans, la France est un cas unique. Certains ont parlé de l’Espagne : c’est faux ! La durée de la période d’essai en Espagne est de six mois. La seule personne qui ait tenté quelque chose de similaire, c’est Margaret Thatcher ! En 1985, elle a introduit un « order » qui réservait au salarié ayant deux ans d’ancienneté le bénéfice de ce que les anglais appellent « unfair dissmissing », le licenciement illégitime. Madame Thatcher a fait marche arrière : la période de deux ans a été rapportée à un an….
En fait, c'est l'affreux gouvernement Blair qui a ramené, en 1998, de deux ans à un an l'ancienneté qui permet aux salariés britanniques de bénéficier d'une protection de droit commun contre un licenciement abusif (unfair dismissal). Pour prouver que le licenciement est légitime, l'employeur doit prouver que le motif est lié à, au choix : 1. l'aptitude du salarié (capability) 2. une faute disciplinaire (conduct) 3. une suppression de poste (redundancy) 4. une "interdiction légale" (statutory ban), par exemple le fait qu'un chaufeur se soit vu retirer son permis de conduire 5. un "autre motif substantiel" ("some other substantial reason"), par exemple une réorganisation de l'entreprise.

On peut noter que l'obligation de notification du motif du licenciement (sur demande du salarié) ne concerne aussi, à quelques exceptions près, que les salariés qui sont en poste depuis au moins un an. La période était également de deux ans auparavant.

L'argumentation qu'employait le gouvernement Blair en 1998 pour justifier la réduction de la "période de consolidation" est instructive (mes italiques) :
The period of employment before employees qualify for protection against unfair dismissal is currently set at two years. As the economy becomes more dynamic, leading to more frequent job changes, the Government is concerned that this period is too long and a better balance between competitiveness and fairness would be achieved if it were reduced:

* employees would be less inhibited about changing jobs and thereby losing their protection, which should help to promote a more flexible labour market;

* more employers would see the case for introducing good employment practices, which should encourage a more committed and productive workforce.

3.10 Some employers claim that a long qualification period is needed to allow mistakes made in recruitment to be rectified without heavy costs. The Government accepts such mistakes happen but believes that the present period is longer than is needed to allow them to come to light and be dealt with. For all these reasons, and to increase protection against arbitrary dismissal, the Government therefore proposes to reduce the qualifying period to one year.
Cette argumentation permet donc d'ajouter une nouvelle loi aux axiomes déjà compilés par Olivier Bouba-Olga : plus de protection = plus de flexibilité. Si bien qu'on trouve, par transitivité : CPE = anti-précarité = protection = flexibilité = précarité = emploi = chômage. Ce qui confirme d'ailleurs la justesse de la remarque de Yannick L'Horty au cours du débat d'Evry : "Je vais résumer ma réponse à la question de savoir quels sont les effets du CPE sur l’emploi : peut-être, ça dépend, il faut voir… en réalité, la réponse c’est qu’on ne sait pas."

Add. (23H30) : par une heureuse coïncidence, Damien fait le point aujourd'hui sur la réforme annoncée des contrats de travail en Allemagne. Et en profite pour rappeler à juste titre qu'on "ne peut pas se plaindre que la réforme dans ce pays est "impossible" et en même temps tout faire pour durcir les blocages."