16 avril 2004
Peut-on défendre une bonne idée avec de mauvais arguments? C'est la pensée profonde qui m'habite à la lecture de la tribune de François Colcombet et Miguel Castaño (représentants éminents de la phalange montebourgeoise citée dans le post précédent) dans Le Monde d'aujourd'hui.
Leur constat (valide) est que la "dyarchie" au sommet des institutions françaises est soit ridicule (quand le chef du gouvernement avale les couleuvres d'un président qui détermine souverainement la politique de la nation), soit conflictuelle (quand président et premier ministre de la même couleur politique se disputent la barre du navire). Et que seule la cohabitation révèle la vraie nature du régime politique issu de la Constitution de la Ve république, dont le texte confère explicitement l'essentiel des pouvoirs politiques et administratifs ordinaires au chef du gouvernement et non au chef de l'Etat. Leur solution (défendable) est d'instaurer un véritable régime parlementaire, sur le modèle britannique.
On peut estimer que les deux réformes proposées (suppression du droit de dissolution et nomination du premier ministre par l'Assemblée nationale) sont insuffisantes pour régler les maux de la démocratie française. On doit aussi noter que ce n'est pas demain la veille qu'un président acceptera d'initier une réforme dont l'objet est de le priver de l'essentiel de ses pouvoirs constitutionnels (voir aussi Sénat : réforme du). Mais ces deux réserves n'invalident pas une thèse qui est forcément spéculative et limitée dans son objet.
Beaucoup plus dérangeante est l'utilisation d'arguments péremptoires pour la défendre. Déjà, l'idée selon laquelle l'originalité de nos institutions serait la preuve de leur déficience est singulière venant de hérauts d'un courant de pensée qui défend bec et ongles l'exception française en matière de culture, de services publics ou de protection sociale. Surtout, les auteurs disqualifient une évolution vers un régime présidentiel de type américain en recourant à une logique dont la pertinence m'échappe, à moins de considérer que l'antiaméricanisme subliminal constitute à lui seul un argument :
Comment sortir du cercle vicieux ? Comment supprimer la dyarchie à la française ? Certainement pas en passant au régime présidentiel de pouvoirs séparés, source permanente de blocages. Imaginons une seconde un gouvernement de droite et une Assemblée de gauche, ou vice-versa !A quoi on ne peut que répliquer : et alors?
On peut penser tout le mal que l'on veut des Etats-Unis, il reste que leurs institutions politiques, créées par et pour une société de colons britanniques, ont fait la preuve, depuis plus de deux siècles, de leur solidité et de leur plasticité. Et cette solidité doit beaucoup aux contre-pouvoirs (les fameux "checks and balances") intégrés dans le système politique. Quoi qu'en pensent les auteurs, les "blocages" obligent les pouvoirs en place à rechercher un minimum de consensus et contribuent à réduire l'influence des idéologues. Ce n'est pas un hasard si la désastreuse gestion économique et fiscale de l'administration Bush s'inscrit dans le contexte d'une mainmise républicaine sur la Maison Blanche et les deux chambres du Congrès. Ou si les réussites économiques de l'administration précédente sont intervenus alors que Clinton devait composer avec un Congrès à majorité républicaine.
Le régime présidentiel n'est certes pas exempt de défauts. Mais le fait d'être pratiqué aux Etats-Unis n'en est assurément pas un.
Mis en ligne par Emmanuel à 20:47 | Lien permanent |