24 mai 2004

La NewYorkTimisation des éditorialistes français : épisode 1 

Si j'avais, comme Versac, une rubrique "admirés", Thomas Piketty y figurait sans aucun doute en bonne place. Pour le présenter rapidement : jeune et brillant économiste français("among the very best of economists in their thirties" selon Brad DeLong), de tendance néo-keynésienne et à ce titre honni tout autant par la gauche alter que la droite libér. Piketty a en plus le bon goût de rendre accessible tous ses textes publiés sur son site Internet (quand il n'est pas down) et de faire partie des quatre larrons qui alternent à la rédaction de l'indispensable rubrique Economiques dans le Libération du lundi.

A la lecture de sa chronique d'aujourd'hui, j'ai cependant une crainte grandissante : j'ai peur que Piketty ne se transforme peu à peu en Krugman français. Comme tout le monde le sait, le plan de baisse d'impôts que Bush a présenté en 2000 a tellement irrité Paul Krugman qu'il a consacré depuis 90% de ses chroniques "économiques" dans le New York Times à dénoncer les mensonges de l'administration Bush. La révélation, pour Piketty, a été la décision de Fabius et Jospin de baisser l'impôt sur le revenu pendant l'été 2000. Pas de chance, Piketty travaillait à ce moment-là sur une somme (excellente, au demeurant) consacré aux inégalités de revenu en France au XXe siècle, dans lequel l'IRPP joue le rôle de chevalier blanc de l'économie et de la société françaises. Autant dire qu'il a très mal pris le revirement de la gauche sur la question de la baisse des impôts directs et qu'il a sévèrement tancé le gouvernement d'alors au moment de la sortie de son livre.

Le ridicule programme fiscal de Chirac n'a rien arrangé et Thomas Piketty ne se prive pas de rappeller à échéance régulière à quel point tout irait mieux en France si la droite n'avait pas décidé de diminuer les impôts. Il le fait encore aujourd'hui, en tirant à vue (avec raison) sur le faux plan de Douste Blazy et en sommant les responsables socialistes de s'engager à rétablir l'IRPP à son niveau de 2002 pour financer la protection sociale :
Certes, cela n'aurait aucun sens de s'engager à augmenter l'IR sitôt la gauche arrivée au pouvoir, quelles que soient les circonstances : tout dépend de la conjoncture et des besoins de financement de l'Etat. Par contre, cela aurait du sens de s'engager fermement à revenir en priorité sur les baisses d'IR de 2002-2003 dès lors que des augmentations de recettes se révéleraient nécessaires, par exemple pour financer l'assurance maladie.
Or, j'ai beau être d'accord avec lui sur le fond, il me semble que la stratégie politique qu'il conseille au PS est l'une des pires que ce dernier pourrait adopter.

D'une part, elle l'exonère de toute responsabilité dans la recherche de solutions structurelles pour remettre à flot l'assurance maladie. De l'autre, Piketty sait bien qu'une hausse uniforme de l'impôt sur le revenu, même conditionnelle, est une proposition qui a une chance quasi nulle de passer telle quelle auprès de la majorité de l'électorat. Ce n'est pas que je sois franchement opposé à ce que le PS soit taxé d'hypocrisie sur les questions fiscales, mais la querelle que cherche Piketty aux socialistes me semble en l'occurence assez vaine. J'espère qu'il ne fera pas preuve d'un acharnement krugmanien à la poursuivre.