20 mai 2004

"Misère fiscale" 

Je préfère en parler avant que mes amis bloggeurs madelinistes ne se mettent à sauter comme des cabris en beuglant (certes, un cabri qui beugle, c'est assez rare) "misère fiscale", "misère fiscale", "champions du monde", champions du monde". Le -pas vraiment socialisant- magazine américain Forbes vient de sortir son enquête annuelle sur la charge fiscale dans 50 pays développés. L'étude comporte plusieurs classements mais le plus médiatisé est le "Tax Misery Index", qui se veut un indice synthétique du poids des principales contributions fiscales dans chaque pays à l'usage des investisseurs et des entrepreneurs. Et la France arrive régulièrement en tête de cet indice, culminant cette année à 174,8 points, contre 149,7 en Suède, 144 en Italie, 112,5 en Allemagne ou 111,3 au Royaume-Uni. D'accord, le score de la France a baissé de 18 points depuis 2000, grâce aux efforts combinés de Fabius et de Raffarin. Mais, quand même, c'est bien la preuve que nous vivons dans un pays crypto-soviétique qui fait tout pour décourager les "créateurs de richesse", non? En un mot : non.

Parce que cet indice de "douleur fiscale" (la traduction "misère fiscale" des Echos me semble vraiment incorrecte) est ce qu'on pourrait appeler poliment du bullshitage éhonté. La méthodologie de Forbes est en effet d'un ridicule achevé : elle consiste à additionner les taux marginaux de l'IR, de l'IS, de l'impôt sur le patrimoine, des cotisations sociales et de la TVA. Et... c'est tout. Pas de prise en compte des différences d'assiettes, du seuil à partir duquel le taux marginal s'applique, sans parler de la contrepartie (retraites, santé, transferts) des cotisations sociales. Juste une application bête et méchante de la théorie de l'offre la plus simpliste, pour qui seuls les taux marginaux compteraient. Et peu importe si ces taux n'ont qu'un rapport lointain avec la réalité de l'impôt effectivement acquitté.

Le profil du contribuable qui endurerait les pires souffrances fiscales en France est alors assez improbable : un célibataire sans enfant (parce que sinon, le quotient familial réduit radicalement l'IR), très bien payé (les simulations fiscales de Forbes montrent que la France ne commence à être vraiment mal classée qu'à partir de 1 million de dollar de salaire brut) et suffisamment idiot pour ne pas profiter des diverses niches fiscales que lui offre le système français. Le seul intérêt de cet indice est en fait de faire la preuve par l'absurde de ce que tous les fiscalistes sérieux savent depuis longtemps : le défaut majeur de l'architecture des prélèvements obligatoires français est de combiner assiettes mitées et taux élevés.