11 mai 2004

Quand les mouches changent d'âne 

Il y a un peu plus d'un an, les sieurs Bruckner, Gluycksmann et Goupil se fendaient d'une tribune dans Le Monde qui rappelait, par instants, la rhétorique outrancière des pages éditoriales du Wall Street Journal :
Il faudra raconter un jour l'hystérie, l'intoxication collective qui ont frappé l'Hexagone depuis des mois, l'angoisse de l'Apocalypse qui a saisi nos meilleurs esprits, l'ambiance quasi soviétique qui a soudé 90 % de la population dans le triomphe d'une pensée monolithique, allergique à la moindre contestation. (…) Pendant des semaines, Télé Bagdad a envahi nos cervelles et nos petites lucarnes (…) La République va-t-elle instaurer, avec Berlin et Moscou, une journée de deuil national pour pleurer la disparition du raïs?
Il y avait certes beaucoup à critiquer dans l'alignement inconditionnel d'une bonne partie de la presse française sur la position Chirac-Villepin. Le journaliste Alain Hertoghe y a consacré depuis un ouvrage qui lui a valu d'être débarqué de la rédaction de La Croix. Mais le fait d'assimiler systématiquement les opposants à la guerre à des soutiens de Saddam Hussein était et demeure moralement et intellectuellement insupportable.

Aussi est-ce avec un soulagement certain que j'apprends que Pascal Bruckner s'est enfin décidé à manger du corbeau dans une tribune parue ce matin dans Le Figaro :
Ceux qui, au nom du droit d'ingérence, soutenaient il y a un an le principe d'une intervention dans le Golfe doivent reconnaître que celle-ci a échoué, au regard de ses ambitions proclamées : instaurer une oasis de démocratie dans un environnement totalitaire, rendre le monde plus sûr.
Il récapitule ensuite les multiples erreurs de gestion de l'après-guerre, qu'il lie à l'aveuglement messianique de l'administration Bush, avant de conclure :
Une chose est sûre, dans tous les cas. Dans la lutte contre le terrorisme, l'incompétence est impardonnable. Il faut donc commencer par changer de locataire à la Maison-Blanche.
Notons que Bruckner n'est ni un cas isolé, ni la preuve que l'esprit munichois propre aux Français finit toujours par reprendre le dessus. Nombre de conservateurs américains conséquents livrent, ces jours-ci, à peu près la même analyse.

Ce qui est vraiment tragique est que l'incompétence de l'axe Bush-Cheney-Rumsfeld est en train de donner raison à la fois aux anti-américains viscéraux, pour qui toute initiative américaine est forcement mauvaise (cf Kosovo), et aux ultraréalistes qui refusent le principe même d'une politique internationale reposant sur la promotion des valeurs démocratiques. Or, il il y avait de vrais arguments en faveur d'une intervention en Irak, et une probabilité non nulle pour qu'elle permette d'enclencher une dynamique positive au Proche et Moyen Orient. Mais pas, à l'évidence, sous la conduite de cette administration, ce qu'écrivait déjà Daniel Davies en octobre 2002.