25 juin 2004

De la fiscalité environnementale 

Ma note rapide sur le dispositif gouvernemental visant à surtaxer les véhicules les plus polluants a déclenché -à ma grande surprise- l'ire d'Eolas, qui soutient que cette mesure est une atteinte insupportable à la liberté de consommer des individus. Oli et M_Spock ont largement répondu sur le volet environnemental. Je me permets de faire quelques remarques et précisions complémentaires :
  • Je le répète, l'argument économique en faveur de ce type d'intervention est assez simple et parfaitement orthodoxe : la pollution automobile impose des coûts à la collectivité ; ces coûts sont peu ou pas reflétés dans le prix d'achat des automobiles ; le système d'incitation fourni par le système de prix est donc faussé et les individus ont tendance à acheter trop de véhicules polluants ; le système de bonus-malus vise à corriger cette imperfection en allant dans le sens d'une égalisation entre coût social et coût privé ; on est donc dans une logique de "juste prix", et pas du tout dans une logique de stigmatisation des méchants conducteurs de 4x4. [pour une discussion théorique très détaillée, voir cet article juridico-économique]

  • Comme le note Oli, les interventions étatiques visant à modifier les incitations en jouant sur les prix sont une composante fondamentale des politiques publiques dans les pays occidentaux : TVA à taux multiples, crédits d'impôts (rénovation de logement, déduction des intérêts d'emprunt immobilier, d'une partie des cotisations syndicales ou des donations aux oeuvres), quotient familial ou fourniture de biens culturels en-dessous du prix du marché. Il est bien entendu possible d'arguer que ces interventions sont insupportables philosophiquement et que l'Etat outrepasse son rôle en cherchant à influer sur les choix de consommation des individus. Mais il me semble cette conception ne peut se défendre que dans une optique réellement libertarienne, qui d'ailleurs chercherait aussi, dans le cas qui nous intéresse, à internaliser les coûts de la pollution, via un mécanisme de marché (droits à polluer). La position purement anti-interventionniste est défendable mais elle nous entraîne très très loin de la réalité des économies de marché occidentales (y compris du système américain, qui use largement des incitations fiscales pour financer le secteur culturel, les universités et les fondations, et pour inciter à l'accession à la propriété).

  • Je note aussi que le plan du gouvernement -qui reste d'ailleurs très flou- ne semble pas viser spécifiquement les véhicules 4x4, mais les véhicules les plus polluants, quels qu'ils soient. Et, parmi ceux-ci, seulement les véhicules diesel, avec l'objectif d'accélérer l'équipement en filtres à particules. Voilà ce qui dit le Plan national santé environnement (pdf, p 22) :
    2.1.1.ACTION 4 : Réduire les émissions de particules diesel par les sources mobiles

    Les particules fines, et en particulier celles émises par les véhicules diesels constituent l’un des principaux facteurs de risque sanitaire lié à la pollution atmosphérique de l’air. L’installation de filtres à particules (ou autres dispositifs) permet d'ores et déjà de réduire les émissions à un niveau quasi nul. Il est prévu d’établir de nouvelles normes européennes d’émissions applicables à partir de 2010. La France s’engage à faire adopter rapidement ces normes qui devront atteindre un niveau ambitieux au plan sanitaire.

    Pour favoriser l’achat de véhicules particuliers faiblement émetteurs de particules tout en luttant contre le réchauffement climatique (objectif du prochain Plan Climat), une modulation de l’incitation financière " bonus / malus C02 " envisagée dans le projet de Plan Climat sera mise en place. Cette modulation favorisera l’achat de véhicules diesel les plus respectueux de l’environnement et pénalisera les plus polluants.
Le dispositif n'est certes pas parfait : le délai avant la mise en place (au 1er janvier 2005) devrait, ceteris paribus, entraîner une hausse temporaire des ventes des véhicules les plus polluants et inversement ; il conduit aussi à une simple substitution au sein du seul marché automobile, alors qu'on pourrait réclamer des mesures conduisant à un rééquilibrage intermodal (vers les transports en commun).

De toute façon, en l'absence de détails précis sur les modalités du plan, il est impossible, à l'heure actuelle de répondre à des questions importantes : quel sera l'effet global sur le marché automobile? Quel mécanisme sera adopté pour que les surtaxes et les primes puissent s'équilibrer? Le montant des surtaxes sera-t-il bien adapté à l'impact environnemental des véhicules pénalisés? Le volume d'émission des particules sur l'ensemble du parc peut-il être significativement affecté?

Le rapport répond par l'affirmative à cette dernière question, mais, en l'absence de précisions, il semble urgent d'attendre avoir de pouvoir se forger un avis définitif. Dans l'intervalle, je maintiens mon adhésion de principe.