09 juin 2004

Le cas Cazettes 

Je pensais stupidement que Jean-Luc Cazettes, le président national de la CFE-CGC (le syndicat des cadres), était un type plutôt sensé. En tout cas que la combinaison entre une longue expérience syndicale et une vision non-apocalyptique de l'entreprise et du capitalisme avait toute les chances d'aboutir à des positions politico-économiques proches des miennes. Encore raté :
L'exception française, c'est aussi d'être le pays européen qui fait peser le poids de l'impôt sur une partie de plus en plus réduite de sa population. En France, moins de 50 % de la population paient l'impôt alors qu'en Allemagne, au Danemark ou dans les pays nordiques ce taux dépasse les 80 %. Et ça ne décourage personne de continuer le racket sur les catégories moyennes, dont l'encadrement représente la plus grosse part.
Désolé, mais c'est le genre d'argument qui me fait invariablement sortir de mes gonds. Passons sur l'abberation statistique qui consiste à classer au sein des "catégories moyennes" une population qui doit se situer en majorité -à vue de pif, mais je ne pense pas être très loin de la vérité- dans les 9e et 10e déciles de la distribution des revenus. Ce qui est vraiment inadmissible, par contre, c'est d'assimiler l'impôt sur le revenu à l'ensemble des impôts. Et ce n'est pas parce que les responsables de l'UMP le répètent à longueur d'antenne que l'argument en devient plus respectable.

Puis-je rappeler à M. Cazettes que ceux qui ne payent pas l'IR (7,3% des recettes fiscales des administrations publiques) contribuent au financement de l'Etat, des collectivités territoriales et des organismes de protection sociale via, inter alia : la TVA (15,5%), la CSG (9,5%), la TIPP (3,5%) et surtout les cotisations sociales (34,4%, si l'on additionne, comme on le doit, les cotisations à la charge des salariés et des employeurs). Puis-je me permettre d'ajouter que les différences de taux moyens d'imposition entre déciles sont dès lors beaucoup moins importantes que ce que l'on suspecte généralement (en 1997, et pour les seuls salariés, Thomas Piketty trouvait un taux moyen d'environ 45% pour les deux premiers déciles et de 55% pour les deux derniers)? Evidemment non, sous peine d'être taxé de partisan "de l'égalitarisme et du racket", héritier de "Marat et d'Hébert".

C'est d'autant plus dommage que Cazettes a raison sur le fond. Ses élans démagogiques viennent en effet en réponse à une proposition du bien mystérieux Comité Cicéron ("composé de personnalités issues du monde de l'entreprise, de l'administration et de la politique") qui proposait récemment de sauver la Sécu en fixant un plafond de ressources pour bénéfier des remboursements de l'assurance maladie. Le Comité a droit à un point de bonus pour avancer une proposition qui permettrait de résorber véritablement le déficit de l'assurance maladie. Le problème est que l'introduction de la variable "sous condition de ressources" revient à changer fondamentalement la nature du système français de santé : on passerait d'un système assuranciel (où les cotisations versées ouvrent des droits à des prestations) à un système assistanciel (qui cherche à fournir un "filet de sécurité" à ceux qui ne sont pas couverts par des assurances privées). [je reprends ici la grille de lecture de Gosta Esping-Andersen] Et l'expérience nous enseigne que ces derniers systèmes sont particulièrement vulnérables aux alternances politiques, justement parce qu'ils sont perçus comme une redistribution indue des classes moyennes travailleuses vers des classes considérées comme "assistées".

Il était donc utile que quelqu'un intervienne pour réfuter la fausse bonne idée des cicéroniens. Vu la manière déplorable dont Cazettes s'y est pris, je crains que son intervention n'ait été contre-productive.