14 juin 2004
Quel match de merde! Une équipe anglaise à 8 derrière, qui cherche son salut dans les contres d'Owen et les coups de pied arrêtés de Beckham. Une équipe de France qui répète jusqu'à plus soif une tactique vouée à l'échec : jeu arrêté face à la défense, molle recherche d'une position de démarquage qui n'arrive jamais et puis centre invariablement manqué vers une tête anglaise ou les tribunes du bien nommé stade de la Luz.
Quelques éclairs dans le premier quart d'heure de chaque mi-temps, on se dit que cette défense anglaise est vraiment bien lente, qu'il suffira d'une combinaison réussie pour crucifier ce gros nul de James. Et puis, lentement, le jeu qui se délite, les passes qui n'arrivent plus, Zidane qui dévisse ses tirs de 30 mètres, Henry qui s'écrase toutes les deux minutes contre le roc anglais et la perfide Albion qui nous nargue, facile, du haut de son bloc défensif et de ce but d'école qui a brutalement empli d'un silence inquiétant l'atmosphère jusqu'alors rigolarde du petit troquet où nous nous trouvons.
Le silence devient carrément lugubre à la 73e minute, quand s'amorce sur l'écran une action copie conforme de celle qui avait amené le deuxième but de Porto contre Monaco, il y a deux semaines et demi. Presque copie conforme en tout cas, car Silvestre décide de troquer, d'une méchante faute, la passe imparable au point de penalty contre le tir arrêté à onze mètres du gardien. On doute d'avoir vraiment gagné au change et les vieux fantômes coréens, les unes tristes à pleurer des lendemains de désastres commencent à défiler, insidieusement. Pour la première fois du match, on a tort : Barthez plonge du bon côté et sauve la mise. Première explosion de joie.
Joie éphémère : on veut croire au fameux "tournant du match", mais la partie, après ce brutal tête-à-queue, est repartie dans la même horripilante direction. Les minutes s'égrènent, de passe manquée en centre catastrophique, de tir de dépit en course vaine. On n'y croit plus du tout, on commence à réviser furieusement à la baisse nos espérances. On espère vaguement que cette équipe usée, vieillie, fatiguée s'en sortira avec un peu de chance contre la Croatie et la Suisse. Il sera ensuite temps de prier pour un gros miracle, histoire de finir la tête haute en demi.
Le miracle arrive finalement avec deux semaines d'avance. Grosse faute d'Heskey aux 25 mètres, le mur se place mal, la frappe limpide de Zizou se loge dans le petit filet. Une seconde d'incrédulité, nouvelle explosion d'une joie mêlée d'un infini soulagement. Les images délirantes des soirées euphoriques de 1998 et de 2000 chassent brusquement le spleen de ce matin glauque de 2002. Et puisque que la baraka est revenue, on en demande plus, avec une gourmandise un peu ostentatoire. Et on l'a : l'impériale défense anglaise s'est inexplicablement décomposée, il suffit d'une relance cafouilleuse pour qu'Henry soit enfin lancé à pleine vitesse, seul, dans la surface. James essaye d'imiter en une minute les exploits récents de Barthez : ça marche une fois, sortie bulldozer et penalty ; mais pas deux, plongeon du mauvais côté et frappe sereine de Zidane qui aboutit une deuxième fois dans le petit filet.
On repense à la finale de 2000, évidemment. On se remémore surtout ces dernières minutes de la finale de 1999 entre Manchester United et le Bayern de Munich. On pèsera les souvenirs à l'aune de l'émotion plus tard. Il sera temps aussi demain de se rappeler à quel point la France a mal joué, de se redire que le football est une passion de beaufs, que le jeu est corrompu par le marketing et le supportariat par le chauvinisme le plus abject. Mais, ce soir, on aspire la joie à grandes bouffées, plein d'une gratitude sincère pour un spectacle qui peut nous offrir ces instants d'euphorie.
Mis en ligne par Emmanuel à 01:30 | Lien permanent |