30 juin 2004

Timide éclaircie au Darfour 

Bien sûr, les précautions rhétoriques d'usage s'imposent. La réaction des pays occidentaux est tragiquement tardive. Le désastre humain est déjà considérable. Et ma connaissance du dossier est très imparfaite. Mais l'attitude récente du département d'Etat américain, et l'engagement personnel de Colin Powell (actuellement en visite au Soudan), me semble plutôt encourageante. Voilà ce qu'en dit l'AFP :
KHARTOUM (AFP) - Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell a demandé mardi soir au gouvernement soudanais d'agir maintenant pour faire cesser le drame du Darfour (ouest), sous peine de s'exposer à des sanctions internationales.

Il a présenté trois exigences au gouvernement de Khartoum: contrôler les milices arabes pro-gouvernementales accusées de massacrer sans vergogne la population au Darfour, permettre aux organisations humanitaires d'y travailler, et commencer des négociations avec les deux mouvements rebelles.
"A moins que nous ne voyions bientôt des avancées dans ces trois domaines, la communauté internationale pourrait être amenée à considérer d'autres actions, parmi lesquelles celle du Conseil de sécurité", a déclaré le ministre des Affaires étrangères américain lors d'une conférence de presse commune avec son homologue soudanais Moustafa Osmane Ismaïl.
La vraie nouveauté est ici la menace explicite de sanctions et la référence à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, dont une version préliminaire pourrait être soumise aujourd'hui aux 15 membres du Conseil. Au vu de l'attitude des autorités soudanaises, qui continuent à nier l'ampleur du problème, une pression croissante est absolument nécessaire, et l'effort américain mérite d'être salué.

La comparaison avec l'action de la diplomatie française est d'autant plus cruelle. Le sous-ministre Muselier a lui aussi effectué un déplacement officiel au Soudan, du 20 au 23 juin dernier. A première vue, les discussions avec les responsables n'ont pas donné grand chose, s'il faut en croire le compte-rendu qu'en fait le porte-parole du Quai :
A Khartoum, le 22 juin, le secrétaire d'Etat a été reçu par le président Béchir. L'entretien s'est déroulé au lendemain de l'annonce, par les autorités soudanaises, de la décision de désarmer les milices janjawids. Le secrétaire d'Etat s'est félicité de ce pas en avant significatif. Il a encouragé le président soudanais à mettre en oeuvre cette décision dans les meilleurs délais. Il est urgent que la sécurité revienne dans le Darfour, de façon à ce que les opérateurs humanitaires puissent, dans le plein respect du droit humanitaire international, porter secours aux populations qui en ont besoin.
Toujours le même triptyque lénifiant : préoccupation - félicitation - encouragement. Jamais de condamnation explicite, ni de rappel des liens entre Khartoum et les djandjawid, ni de discussion de possibles sanctions. Je sais bien que la diplomatie fonctionne sur l'understatement, mais est-ce trop demander à la France que de prendre un tant soit peu ses responsabilités?

Ce qui me gêne est que j'ai toujours du mal à comprendre les raisons profondes de l'attitude française. Un éditorial récent du Washington Post affirmait que les intérêts pétroliers de la France au Soudan jouaient un rôle central. Je suis sceptique, d'abord parce que je ne veux pas y croire, ensuite parce que les commentateurs américains m'ont passablement énervé l'année dernière quand ils essayaient de réduire l'opposition française à une intervention en Irak à la défense d'intérêts économiques.

Une autre hypothèse est que la France cherche à obtenir un accord en coulisses. Cette version s'appuie sur la présence ces jours-ci de responsables du gouvernement et de la rébellion soudanaise à Paris (voir diverses questions lors des points presse du Quai). J'espère être agréablement surpris. Mais sans aucune illusion néanmoins, tant la politique étrangère de la France m'apparaît critiquable depuis 2002, l'intervention au Congo (et peut-être en Côte d'Ivoire) mise à part.

NB : Comme toujours, The Passion of the Present fournit une couverture détaillée de la situation.