14 juillet 2004

Chirac à l'attaque 

A mon plus grand désarroi, les stations périphériques n'ont pas jugé bon de retransmettre en direct l'interview de notre bien aimé Président. Ils ont eu tort, parce que l'entretien (texte intégral ici, vidéo ) était diablement plus pimenté qu'à l'accoutumé : un dézingage en règle de Sarkozy accompagné d'une capitulation idéologique face au Ministre de l'économie (sur les 35 heures et l'IRPP), l'annonce d'un référendum qui va combler le grand vide politique qui s'annonçait jusqu'à 2007 et, plus généralement, une attitude offensive qui a entraîné des dérapages délectables.

Petit best of :
  • La phrase qui charrie des relents assez nauséabonds : "Ce qui veut dire que si nous ne formons pas, nous-mêmes, nos jeunes, si nous les laissons un peu à l'abandon ; alors pour occuper des postes de travail, ce qui sera le problème de demain, il faudra des émigrés. Donc, nous avons une méthode à changer."

  • La déclaration sur le mode "oups, j'ai failli faire une Raymond Barre" : "Nous sommes dans une période où, incontestablement nous le voyons, notamment depuis quelque temps, les manifestations d'ordre raciste, qu'elles mettent en cause nos compatriotes juifs ou musulmans ou d'autres, tout simplement parfois des Français dans certains endroits".

  • La réponse manifestement illogique : "QUESTION – Et vous regrettez de vous être précipité pour dénoncer une agression antisémite qui n'en était finalement pas une ? LE PRESIDENT – C'est une affaire regrettable à tous égards. Mais je ne regrette pas."

    [En incidente, je relève que Chirac est coutumier du fait. En février 2002, l'impertinent PPDA lui avait demandé si ses ennuis judiciaires était pour lui une motivation supplémentaire pour rester à l'Elysée. Et Chichi de répondre : "C'est vraiment (...) me rabaisser de façon qui me choque profondément. J'irai même jusqu'à dire qui me fait un peu de peine. En tout les cas, cela ne me touche pas".]

  • La phrase qui prête à confusion sur les moyens d'action de la Réserve fédérale américaine : "c'est tout de même frappant de constater la différence entre notre gestion et celle des Etats-Unis, sous l'éminente impulsion de M. GREENSPAN qui n'hésite pas à prendre les mesures qui s'imposent pour relancer l'économie quand elle en a besoin, y compris par le déficit budgétaire."

  • L'expression que Chirac a essayé de placer le plus de fois possibles : "nous devons, d'une part, restaurer la valeur du travail, de la responsabilité, du mérite dans notre société"; "C'est la réhabilitation, je le répète, du travail et de la responsabilité."; "Je le répète, d'abord, il faut réhabiliter le travail, la responsabilité, le mérite dans notre société."; "Je vous l'ai dit tout à l'heure, il y a en France un problème psychologique, il faut redonner le sentiment que le travail est une activité naturelle, que la responsabilité est dans la nature même de l'homme, et que le mérite doit être récompensé."; "Je vous le disais tout à l'heure, il faut réhabiliter le travail, la responsabilité, le mérite et je pense que cette réforme sera une bonne réforme."

  • Le coup de pied de l'âne à Balladur : "Comprenez bien que si vous avez un Premier ministre qui a un ministre par ailleurs président du principal parti de la majorité, ça veut dire en clair que vous n'avez plus de Premier ministre."

  • L'argument qui laisse accroire que la Constitution de la Ve République a instauré un régime parlementaire : "Mais le Premier ministre qui, comme dans presque toutes les grandes démocraties, est le chef de la majorité, a naturellement vocation à être le Président [du parti majoritaire]."

  • La phrase de l'alcoolique qui essaye de ne pas rechuter : "Je n'ai pas, Madame CHABOT, je le répèterai indéfiniment que je n'ai pas à me mêler des affaires de l'UMP. C'est clair."

  • Le moment de rire nerveux : "On n'a pas dit un mot de quelque chose qui me paraît intéresser beaucoup les Français, c'est l'assurance maladie. C'est une vraie réforme. [...] Ce que je voudrais dire c'est que ce n'est pas un plan de redressement, un énième plan de redressement comme nous en avons tant connus dans le passé, c'est-à-dire un plan destiné à diminuer les dépenses et à augmenter les recettes."
Le palmarès ne serait pas complet sans un coup de chapeau aux deux carpettes de service qui ont réussi à ne pas questionner le Président sur l'Irak, l'Afghanistan et le Darfour, à ne pas mentionner la note de Bercy au sujet de l'assurance maladie et à n'évoquer que de façon très indirecte les précédents historiques qui démentent la jurisprudence Sarkozy. Chirac s'est permis de dénoncer la politique avec un petit "p". Je ne sais pas ce qui me retient de dénoncer ces questions avec un petit "q". Peut-être l'esprit de concorde qui sied à la commération de la fête de la Fédération.