19 juillet 2004

Incongruités britanniques 

Deux élections législatives partielles ont eu lieu jeudi dernier au Royaume-Uni - je rappelle que les sujets de sa Majesté vont toujours aux urnes le jeudi. Les deux circonscriptions concernées par ces by-elections (qui s'appellent special elections outre-Atlantique) étaient jusqu'alors détenues par des députés travaillistes. Tout l'enjeu était de savoir si le Labour parviendrait à conserver ces deux fiefs malgré l'impopularité actuelle du gouvernement Blair. Au final, le parti travailliste s'en est plutôt bien sorti. Les experts anticipaient une débâcle électorale et le fait que le Labour n'ait perdu qu'une circonscription sur deux relativise l'échec. Surtout, les conservateurs, principaux rivaux des travaillistes, ont obtenu des résultats médiocres aux deux élections. C'est le parti libéral-démocrate qui a tiré les marrons du feu, en gagnant un siège de député.

"Quel intérêt à faire de la reprise bête et méchante de dépêches sur une actualité déjà refroidie? Et quel rapport avec le titre de cette note?" rétorque le lecteur qui commence à s'impatienter. J'y viens. Il se trouve que je suis très proche idéologiquement des Lib-Dems, au moins au vu du résultat de ce test d'affinité politique et du peu que je connaisse de leur programme. Le résultat favorable des élections partielles m'a poussé à chercher le nombre exact de députés pour les trois principaux groupes parlementaires britanniques. Problème : ni le site de la BBC, ni le site de la Chambre des communes, ni celui du parti libéral-démocrate ne m'ont donné rapidement l'information désirée. Mon malheur a alors consisté à consulter l'indispensable encyclopédie en ligne Wikipedia qui, non contente de me donner la réponse en moins de 30 secondes (467 / 163 / 55), m'a fait cruellement prendre conscience de ma méconnaissance abyssale des institutions politiques britanniques.

J'ai ainsi appris avec étonnement et une envie folle de demander le remboursement des rares cours de droit constitutionnel grand-breton que ma scolarité m'a permis de suivre que :

1. Le 10 Downing Street n'est pas la demeure officielle du Premier ministre britannique. C'est en fait la résidence réservée au titulaire de la charge de First Lord of the Treasury. Il se trouve que tous les premiers ministres britanniques ont détenu cette charge depuis 1905, mais s'agit là d'un usage constitutionnel, pas d'une règle à proprement parler. Autre détail amusant : en pratique, Tony Blair occupe depuis son entrée en fonction le 11 Downing Street (en face, donc) [Correction tardive de janvier 2005 : un lecteur me signale que les deux résidences du 10 et du 11 sont en fait adjacentes, ce que confirme Wikipedia. Dont acte.], qui est la résidence officielle du Second Lord of the Treasury - en pratique, depuis 1827, le Chancellor of the Exchequer, l'équivalent de notre ministre des Finances. Il se trouve en effet que la maison sise au 11 est plus spacieuse que celle du 10. Or, en 1997, les trois enfants de Tony et Cherie Blair vivaient encore chez leurs parents alors que le Chancelier de l'Echiquier, Gordon Brown, était célibataire. Les deux hommes ont donc échangé leurs logements de fonction. Brown sera donc déjà dans ses meubles si Blair décide à l'avenir de lui céder le pouvoir - comme il s'y est engagé.

2. Les membres de la Chambre des communes n'ont pas en théorie le droit de démissionner. La fin anticipée de leurs fonctions n'est prévue qu'en cas de : décès, démence, faillite personnelle, nomination à la chambre des Lords ou à une fonction salariée qui relève de la Couronne britannique (cas notamment des postes de magistrats). En pratique, cependant, la démission est possible grâce au recours à une fiction juridique : le député qui souhaite démissionner demande au Chancelier de l'Echiquier d'être nommé soit Crown Steward and Bailiff of the three Chiltern Hundreds of Stoke, Desborough and Burnham, soit Crown Steward and Bailiff of the Manor of Northstead. Ces deux postes sont des vestiges de l'époque féodale et n'imposent plus depuis longtemps d'obligations à la charge de leurs titulaires. Mais ils relèvent directement de la Couronne, ce qui empêche ceux qui les occupent d'être également député. Si bien que les deux charges sont en permanence détenues par les deux derniers députés démissionnaires de la Chambre des communes.

3. Les membres du "gouvernement de sa Majesté" (Her Majesty's Government) sont divisés -grosso modo- en deux catégories. Les ministres les plus importants forment le Cabinet et font de droit partie du "Conseil privé" (Privy Council) du souverain britannique. A ce dernier titre, l'étiquette veut qu'on fasse précéder leur titre de l'expression "Right Honourable" (Rt Hon.) dans toute correspondance. A quelques exceptions près, ces ministres occupent la fonction de "secrétaire d'Etat" (Secretary of State). Les ministres de second rang, qui seraient en France des secrétaires d'Etat, ont quant à eux souvent le rang de "ministre d'Etat" (Minister of State).

Autant s'arrêter là, même si les institutions britanniques présentent -faute d'une Constitution écrite- de nombreuses autres incongruités, de la charge de Lord Privy Seal (qui, selon un adage un peu leste, n'est ni un Lord, ni un privy, ni un seal) au mode de composition de la Chambre des Lords.

NB : C'est sur ces précisions assurément essentielles que je tire provisoirement ma révérence. Je pars ressourcer mon style aux fontaines de la ville éternelle. Retour en ligne le lundi 2 août, à supposer que les petits cochons du Latium ne m'aient pas mangé entre temps. A presto!