14 juillet 2004

Questions à Chirac 

Le traditionnel entretien télévisé du 14 juillet est un bon indicateur du degré de révérence de l'élite journalistique à l'égard des têtes couronnées de notre monarchie républicaine. J'ai cru noter un peu de progrès dernièrement dans le comportement des journalistes, notamment au cours du dernier entretien de Chirac à la télévision. C'était après les régionales et PPDA avait fait preuve par moments d'une impertinence sufisamment rare pour être soulignée. Les intervieweurs (Poivre et Chabot demain) vont-ils continuer sur la même veine ou bien revenir au questionnement molasson qui est d'usage le jour de la fête nationale?

A priori, l'entretien devrait tourner autour de quatre thèmes principaux :
  • Les suites de la fausse agression du RER D. Il est évident que Chirac devra répondre à l'accusation selon laquelle l'Elysée a fait preuve d'un coupable manque de retenue sur cette affaire. En même temps, les médias n'ont pas été les derniers à entrer dans le jeu. Si on le presse un peu trop, Chichi aura beau jeu de leur renvoyer la balle, comme il l'avait fait peu gracieusement en mars dernier sur la question des intermitents. En plus, il a encore son discours de Chambon-sur-Lignon dans les jambes, et je ne doute pas qu'il puisse tenir de longues minutes sur l'impérieuse défense des valeurs de la République contre les tentations communautaristes et les démons de l'intolérance.

  • La bataille pour le pouvoir à l'UMP et la jurisprudence Sarkozy. Chirac est potentiellement plus vulnérable sur le sujet, vu que la défense sur le thème du Président au dessus des querelles de parti est difficile à réconcilier avec la manière dont il s'est impliqué dans le dossier. Il sera intéressant de voir si les journalistes citent dans leurs questions les précédents que tout le monde a en tête. Comme Juppé Alain, président du RPR de 1994 à 1997, ministre de 1994 à 1995, premier ministre de 1995 à 1997, maire de Bordeaux à partir de 1995. Ou Chirac Jacques, président du RPR de 1976 à 1994, premier ministre de 1986 à 1988, maire de Paris de 1977 à 1995.

  • La situation économique et sociale. Pas a priori le morceau le plus délicat : un bon équilibre entre un discours factuel sur le thème de la croissance qui repart et des envolées lyriques sur la "cohésion sociale" en remixant le tube chiraquien de 1995 à la sauce borlooénne devraient faire l'affaire. Bien sûr, tout pourrait changer si les journalistes essayaient de le coincer, chiffres et notes de Bercy à l'appui, sur le plan de "sauvetage" de l'assurance maladie ou la poursuite de la baisse de l'impôt sur le revenu. Mais je doute un peu de leur pugnacité sur des sujets techniques.

  • L'actualité internationale. Sur l'Irak, Chirac joue sur du velours : une discussion historique devrait lui permettre de rappeller au peuple que le président "usé, vieilli et fatigué" par les torgnoles électorales du printemps 2004 est aussi le "lion superbe et généreux" qui avait entrepris de sauver le monde durant l'hiver 2003. Il devrait être un peu moins à l'aise sur la thématique européenne, où les deux questions de la Turquie et du référendum le mettent en porte à faux avec sa majorité. Cela dit, la solution de facilité qui consiste à repousser la prise de décision est disponible. Il aurait tort de s'en priver.
Il devrait rester un peu de temps, entre ou après tout cela. L'occasion idéale pour essayer de placer les questions qui fâchent :
  • "Monsieur le Président, une catastrophe humanitaire de grande ampleur a lieu actuellement au Soudan, dans la région du Darfour. Selon les rapports concordants de plusieurs ONG et des Nations Unies, les milices armées qui massacrent les populations locales et brûlent leurs villages sont au moins partiellement contrôlées par le pouvoir en place à Khartoum. La France s'est pourtant récemment opposée aux Nations Unies à l'usage de sanctions contre le régime soudanais. En quoi cette décision est-elle de nature à faciliter la résolution de la crise actuelle?"

  • "Monsieur le Président, le Canard Enchaîné un hebdomadaire satirique rapporte dans son numéro du mercredi 7 juillet 2004 que vous et plusieurs membres de votre famille auraient bénéficié à de nombreuses reprises et jusqu'en 2002 de vols gratuits sur la compagnie Euralair. Que répondez-vous à ces accusations?"

  • "Monsieur le Président, vous vous étiez engagé au cours de la dernière campagne présidentielle à réformer la Constitution dans le sens d'une clarification du statut pénal du Chef de l'état. La commission nommée par vos soins -et dont vous aviez indiqué que vous suivriez les recommendations- a rendu ses conclusions en décembre 2002. Comment expliquez-vous que le projet de réforme constitutionnelle adopté en juillet 2003 par le Conseil des ministres n'ait toujours pas été inscrit à l'ordre du jour du Parlement?"
Etrangement, je ne me fait pas beaucoup d'illusions sur la possibilité d'occurence de ces trois dernières questions. Mais sait-on jamais. Réponse(s) demain, à partir de 13H sur toutes les bonnes télévisions et radios de France.