01 juillet 2004

Sans la liberté de blâmer... 

Même à l'aune de la médiocrité habituelle des pages opinions du Figaro, cet éditorial d'Alexis Brézet est particulièrement stupide. Décortiquons. Le postulat : les réformes se passent super bien, l'économie redémarre, l'action courageuse de Raffarin commence à porter ses fruits. La tragédie : la droite est ravagée par la déprime post-électorale et les guerres intestines pour la direction de l'UMP. Les solutions : Chirac doit donner un cap, la piétaille UMP cesser de parler de la guerre des chefs et Jean-Pierre Elkabbach arrêter d'être aussi combatif quand il s'entretient avec Jean-Pierre Raffarin (si, si).

J'entrevois trois légers problèmes avec cette analyse :
  • L'auteur recourt fréquemment à des arguments qui ne passent pas le test du rire. Ainsi le plan Douste aurait permis de mettre fin au "dogme de la gratuité absolue des soins". Bien sûr, et mon abonnement ADSL est gratuit parce que je ne paye pas à chaque fois que je me connecte sur Internet. En plus, c'est oublier un peu vite l'existence d'un secteur déconventionné et le fait que le remboursement des soins par les mutuelles n'est pas nécessairement intégral. Autre argument étrangement fallacieux : le gouvernement bénéficierait de "la confiance de sa base électorale". C'est peut-être vrai concernant sa base électorale sise 37 rue du Louvre, mais quid du reste de la population? Il me semblait que les trois dernières consultations électorales avaient montré une érosion très sensible de la base électorale de l'UMP. Je dois être abruti par la propagande de la presse socialo-communiste.

  • Alexis Brézet ne croit pas lui-même à son postulat : il conseille aux dirigeants UMP de relayer en permanence un message ultra-positif sur les trois grandes réformes du jour tout en ne faisant pas mystère de ses réserves, voire de son scepticisme. La réforme de l'assurance maladie? "Bien sûr, les déficits ne disparaîtront pas par enchantement." Le nouveau statut de l'EDF? "Sans doute a-t-il fallu payer bien cher l'adaptation partielle aux règles de la concurrence." Le plan social de Borloo? "il faudra batailler ferme pour que sa charge «révolutionnaire» ne s'épuise pas dans une simple redite des emplois-jeunes, des mécanismes d'assistance sans espoir et des subventions à fonds perdus." Vraiment pas de quoi susciter l'enthousiasme d'un cadre de l'UMP, surtout s'il fait partie de la frange libéralo-crétine.

  • Peut-être encore plus dirimante est sa lecture foncièrement malhonnête des luttes actuelles pour le contrôle de l'UMP. A lire Brézet, on a l'impression que les déchirements actuels tiennent de la génération spontanée. Mais d'où vient la polémique actuelle sinon du marché de dupes qu'a proposé la semaine dernière Chirac à Sarkozy?
Mais ça, Alexis Brézet ne peut pas le mentionner, sous peine de contrevenir à la règle non-écrite des éditoriaux du Figaro : on ne critique pas ouvertement le chef de l'Etat. Jamais, quitte à être confronté à une pénurie de chapeaux à manger à cause de la fréquence des revirements chiraquiens. Quitte surtout, à entretenir ce journalisme révérenciel qui a déjà fait trop de mal à la presse française.