26 août 2004

Délocalisations : ce n'est qu'un début, recentrons le débat 

Ce débat lancé par DSK est très intéressant, et il ne fait pas de doute, comme le note Versac, qu'améliorer la coordination entre entreprises et pouvoirs publics au niveau local est tout à fait important. Mais il me semble qu'on peut difficilement traiter sérieusement du sujet des délocalisations sans rappeler certains enseignements économiques :
  • Les délocalisations ne sont pas responsables du niveau élevé du chômage européen (pas plus qu'elles ne sont responsables de la reprise sans emploi aux Etats-Unis, comme le soulignait Daniel Drezner dans Foreign Affairs). D'une part, les échanges avec les pays en développement est très faible comparé au volume total du commerce de la France avec l'étranger. D'autre part, les études empiriques montrent que l'impact de la mondialisation sur le niveau de l'emploi est négligeable : sur longue période, les créations d'emploi compensent les pertes d'emplois.

  • La décision de délocaliser est rarement uniquement motivée par des critères de coûts salariaux. La sécurité juridique, la langue, les infrastructures, la proximité d'un marché solvable, la stabilité politique, le bon fonctionnement de la justice et des marchés financiers locaux sont autant d'éléments qui comptent au final autant, sinon plus, que le niveau des salaires. Ce n'est pas pour rien que l'immense majorité des flux d'investissement direct se dirige vers les pays occidentaux, et pas vers les pays du Tiers monde.

  • La déterminante majeur de la différence de salaires entre pays développés et pays en développement est la différence de productivité entre les salariés des pays développés et des pays en développement (voir cette note d'Angry Bear). Elle-même expliquée par les différences de stock de capital physique et (surtout) de niveau d'éducation (capital humain). Les différences de législation sociale jouent certes un rôle, mais un rôle secondaire.

  • Le libre échange profite à la fois aux consommateurs et aux producteurs en leur permettant d'avoir accès à des produits de consommation (finale ou intermédiaire) moins chers. La lutte contre les délocalisations via des politiques protectionnistes fait donc baisser le pouvoir d'achat relatif de la population.

  • Analytiquement, il ne devrait y avoir aucune différence entre une entreprise qui détruit des emplois en France pour en créer à l'étranger et une entreprise qui détruit des emplois en France parce qu'elle est victime de la concurrence d'entreprises étrangères qui parviennent à vendre moins cher. A moyen terme, c'est même le contraire de ce que l'on attend généralement qui se produit : "Des études empiriques confirment qu'une augmentation de l'emploi des multinationales dans les pays émergents augmente aussi l'emploi et la production des multinationales dans les pays industrialisés." (voir cette excellente chronique de Philippe Martin -en pdf- dans Libération)
Conclusion : toutes les politiques protectionnistes proposées -de bonne foi, n'en doutons pas- pour "lutter contre les délocalisations" ont toutes les chances d'être des remèdes pire que le mal. Le vrai et réel problème des délocalisations concerne le sort de ceux qui sont victimes des plans sociaux et, plus généralement, les conséquences en terme de redistribution des revenus du libre-échange (voir Brad DeLong pour une modélisation de ces conséquences). Ce qui nécessite une aide spécifique et importante en faveur des "perdants" du libre-échange. Et, surtout, la réforme d'un marché du travail français qui reste tragiquement dysfonctionnel.

Add. (20H50) : Titre original modifié, parce que j'entrevois la possibilité d'un débat un peu chaud sur le sujet, et qu'il ne sert à rien de mettre de l'huile sur le feu.