12 août 2004

L'économie pour les nuls : croissance trimestrielle 1 

Le sous-titre de ce blog n'aurait plus aucun sens si je ne prenais pas la peine de m'attarder sur le chiffre de croissance de l'économie française publié aujourd'hui. L'INSEE (pdf) nous a en effet appris ce matin que :
Le Produit Intérieur Brut (PIB) aux prix de l’année 1995 corrigé des effets des jours ouvrables et des variations saisonnières augmente de 0,8% à 0,9% au deuxième trimestre de 2004. L’acquis de croissance pour 2004 est de +2,2% à la fin du deuxième trimestre.
Petit décryptage.

"Le Produit Intérieur Brut" est, comme chacun le sait, la mesure de l'ensemble de la production de biens et de services sur un territoire donné (ici, la France). En fait, le concept est beaucoup moins évident qu'il n'y paraît, surtout dès qu'on cherche à le calculer avec précision. Mais cela nous entraînerait beaucoup trop loin. Je renvois le lecteur intéressé par les subtilités de la comptabilité nationale à l'excellent Repères sur le sujet, à lire avec une boîte de paracétamol à portée de main.

"aux prix de l'année 1995" : Les statisticiens de l'INSEE construisent leurs estimations de la production totale à partir de diverses sources : comptes des entreprises, recettes fiscales, ventes de détail, montant des biens exportés, etc. Par exemple, imaginons qu'on sache que la production du secteur X a atteint 2,3 milliards d'euros au 2e trimestre 2004, contre 2,2 milliards au 1er trimestre. La croissance de la production de ce secteur a donc été, à première vue, de 4,5% au 2e trimestre. Mais ce chiffre n'est pas satisfaisant : il faut savoir ce qui correspond à une hausse de la production, et ce qui correspond à une simple hausse des prix (inflation). La référence "aux prix de l'année 1995" nous apprend d'une part que les effets de l'évolution des prix ont été gommés, pour qu'on puisse avoir une idée de l'évolution réelle de la production. D'autre part, que l'année 1995 est en ce moment l'année de base pour les comptes nationaux publiés par l'INSEE. Développer ce dernier point serait fastidieux et largement superflu. Retenons simplement que les chiffres de l'INSEE sont corrigés de l'inflation (ils sont exprimés "en termes réels", selon l'expression consacrée).

"corrigé des effets des jours ouvrables et des variations saisonnières" : Il faut prendre en compte le fait que le niveau de la production est affectée par des facteurs saisonniers (la production est moins importante au 3e trimestre, qui comprend les mois de juillet et août) et calendaires (la production est plus importante, toutes choses égales par ailleurs, quand le nombre de jours ouvrables est supérieur, ce qui plombe généralement le mois de mai). Les chiffres bruts sont donc corrigés par l'INSEE pour que la production soit comparable d'un trimestre sur l'autre.

"augmente de 0,8 à 0,9% au deuxième trimestre 2004" : Par rapport au premier trimestre donc. Je rappelle qu'il s'agit d'une "estimation précoce", et que des chiffres plus détaillés seront publiés la semaine prochaine. Prudence, donc. L'estimation publiée aujourd'hui est de toute façon est une bonne nouvelle. Pour la première fois depuis début 2001, l'économie française a connu 4 trimestres consécutifs de croissance. Je remarque aussi que la croissance du PIB français est (très légèrement) supérieure à celle du PIB américain sur le 2e trimestre 2004 - même sans ajustement pour la différence de croissance démographique.

"L’acquis de croissance pour 2004 est de +2,2% à la fin du deuxième trimestre." D'expérience, c'est la notion qui pose le plus de problèmes, parce qu'elle demande un bagage mathématique minimal pour être comprise. Les journalistes s'en sortent d'habitude en écrivant que c'est "la croissance qu'on obtiendrait sur l'année si la croissance était nulle jusqu'au terme de l'année" (aujoud'hui, ça donne : "la croissance annuelle qui serait enregistrée avec une évolution nulle du PIB au second semestre"). C'est exact, mais ça risque de plonger le lecteur dans des abîmes de perplexité.

Reprenons les chiffres : la croissance du PIB a été de 0,8% au 1er trimestre 2004 ; de 0,8% (je laisse tomber la fourchette, pour simplifier les choses) au 2er trimestre 2004. Supposons que l'économie française se prenne une bonne baffe aux 3e et 4e trimestres, avec une croissance nulle du PIB (+0% et +0%, donc). Question bête pour voir si le lecteur suit : quelle serait alors la croissance de l'économie française sur 2004? +2,2%, évidemment, par définition même de la notion d'acquis de croissance.

Ah oui, mais ça ne colle pas du tout, ça, rétorque le lecteur suspicieux. 0,8+0,8+0+0 donne 1,6 et pas 2,2. Le lecteur suspicieux mais un peu plus formé en maths corrigera en disant que 1*1,008*1,008*1*1 donne 1,016064 soit une croissance arrondie de +1,6% (on n'additionne pas des taux de croissance, on les multiplie). Quoi qu'il en soit, on est loin du compte. L'INSEE raconterait-il n'importe quoi?

Non, évidemment. Pourquoi? Nous le verrons demain, parce qu'il n'est pas inutile, vu la matière abordée, que cette note reste d'une longueur (à peu près) raisonnable.