13 août 2004

L'économie pour les nuls : croissance trimestrielle 2 

Vous êtes prêts pour la suite? Parce qu'on aborde la portion difficile.

Le paradoxe soulevé hier (les chiffres de croissance trimestriels ne collent pas avec l'acquis de croissance) vient en fait de la confusion entre croissance en glissement annuel et croissance moyenne d'une année sur l'autre. Si ça semble obtus, c'est normal. Je vais essayer de simplifier le tout avec le tableau ci-dessous, qui représente l'évolution du PIB d'une économie fictive sur 8 trimestres.



Annéeannée 0année 1
TrimestreT1T2T3T4T1T2T3T4
Production trimestrielle300280320330320310310315
Production annualisée12001120128013201280124012401260
Croissance trimestrielle -6,7%14,3%+3,1%-3%-3,1%0+1,6%
PIB annuel12301255


D'accord, mon économie fictive a un comportement un peu erratique, mais l'exemple permet de faire quelques calculs intéressants.

D'abord, quelques mots d'explications sur les données : la "production annualisée" est le PIB que l'on obtiendrait en un an si la production observée sur le trimestre était la même sur 4 trimestres (on multiplie simplement par quatre). Cette ligne n'est pas essentielle, mais elle permet de se repérer par rapport au "PIB annuel", qui est la production sur l'année, qu'on obtient en additionnant les chiffres de production observée sur les 4 trimestres de l'année. La "croissance trimestrielle" est celle par rapport au trimestre immédiatement précédent : c'est ce chiffre qu'a publié l'INSEE ce matin.

Maintenant, les calculs. Quel est le taux de croissance de l'économie en année 1 par rapport à l'année 0 (c'est-à-dire, dans le jargon, la "croissance en moyenne annuelle")? On calcule (1255-1230)/1230) puis on multiplie par 100 pour obtenir un pourcentage. On trouve, en arrondissant, +2%. C'est ce chiffre dont on parle quand on dit, sans plus de précisions, que l'économie française a connu une croissance de 1,8% en 2003.

On remarque pourtant que notre économie fictive va plutôt très mal en année 1 : deux trimestres de croissance négative (-3% et -3,1%), un trimestre de croissance nulle et un léger rebond en fin d'année (+1,6%). Si on compare le niveau de production au quatrième trimestre de l'année 1 par rapport au quatrième trimestre de l'année 2, on trouve qu'elle a baissé de 4,5% [en calculant ((315-330)/330)*100]. Ce chiffre correspond à ce que les économistes appellent la "croissance en glissement annuel", et montre la performance de l'économie sur les 12 derniers mois.

On peut enfin calculer le fameux "acquis de croissance", par exemple à la fin du 2e trimestre de l'année 1. Supposons que la production se maintienne, au cours du second semestre de l'année 1, au niveau de 310 par trimestre atteint au 2e trimestre. La production annuelle serait alors égale à 320+310+310+310 (prévisions en italiques), soit 1250. On sait que la production (PIB) annuelle en année 0 était de 1230. L'acquis de croissance se calcule alors par la formule ((1250-1230)/1230)*100. Soit environ +1,6% à la fin du second trimestre de l'année 1. Pour voir si je me suis bien fait comprendre, je laisse au lecteur le soin de calculer l'acquis de croissance à la fin du 1er trimestre et du 3e trimestre de l'année 1.

Quelques faits étonnants sautent immédiatement aux yeux :
  • La croissance en glissement annuel (chute marquée) n'a rien à voir avec la croissance d'une année sur l'autre (augmentation significative).
  • L'acquis de croissance à la fin du premier semestre de l'année 1 est positif, alors que l'économie vient de connaître deux trimestres consécutifs de chute de sa production (elle a donc connu une récession).
  • Le niveau de production atteint au 3e trimestre de l'année 0 (320) n'est plus jamais atteint au cours de l'année 1.
Et pourtant, les médias fictifs de notre pays fictif vont fièrement annoncer en début d'année 2 que la croissance a été de +2% en année 1. Avec le risque de faire enrager la population qui a eu l'impression (justifiée) que cette année 1 a été particulièrement mauvaise sur le plan économique. Incidemment, c'est ce qui s'est passé en 2001 en France : la croissance en moyenne annuelle avait été de 2,1%, alors que l'évolution de la croissance trimestrielle présentait une réalité autrement plus sombre (+0,5%, 0, +0,4%, -0,3%).

Cela ne veut pas dire que l'indicateur "croissance en moyenne annuelle" soit sans intérêt. Au contraire : il est indispensable, par exemple, dans le domaine des finances publiques. Mais la "croissance en glissement annuel" (le sens de la variation sur les 12 derniers mois) permet d'avoir une bien meilleure idée de l'économie telle qu'elle est vécue "sur le terrain". Il ne serait pas inutile que les médias insistent davantage sur cette distinction.

NB : Ceci est une nouvelle série, qui se veut constructive et pédagogique, histoire de changer un peu du ton habituel de ce blog, qui ne sait généralement rien faire qu'à critiquer, le méchant. Toute précision ou rectification est évidemment la bienvenue, tout comme le sont les commentaires sur l'utilité et la lisibilité d'une telle note.