04 août 2004

Reconventionné 

Finalement, je ne regrette pas d'avoir été à Rome pendant la convention démocrate de Boston. Je me connais : la proximité d'une liaison Internet à haut débit m'aurait vu dilapider une bonne partie de mes soirées pour un spectacle qui n'en valait pas vraiment la peine. Je suis avec Billmon sur ce coup-là. J'ai beau être tombé dans la politique quand j'étais petit, les grandes messes scénarisées me donnent rapidement des boutons. Surtout quand tous les intervenants sacrifient, avec plus ou moins de sincerité et d'éloquence, au même hommage sirupeux au nominé du jour.

Ce qui ne veut pas dire que je ne me sois pas précipité, à mon retour, pour voir les discours les plus notables, ceux dont l'International Herald Tribune m'avait déjà donné la teneur. Les jugements qui suivent sont donc inévitablement influencés par la rumeur médiatique :

  • Al Gore a vraiment été très mauvais, tant sur le fond que sur la forme. Tentatives d'humour qui tombent à plat, rythme problématique, ressassement assez pathétique du passé : pas grand chose à sauver, à part les quelques moments finaux où il se lâche enfin en usant de son rugissement caractéristique. J'ai eu l'impression de voir un pauvre type qu'on parade dans les réunions démocrates pour faire peur aux petits enfants (ou aux politiciens inexpérimentés) sur le thème : "tu vois, si tu ne prends pas garde à ce que l'on recompte toutes tes voix, tu risques de finir comme lui".

  • Barack Obama est très professionnel, très éloquent, habitué à jouer avec son audience. Son style reste quand même encore un peu mécanique et son discours ne m'a pas transporté, à part la phrase sur le "skinny kid with a funny name who believes that America has a place for him, too". Obama devrait aller loin, mais commencer à parler d'une aventure présidentielle en 2012 ou 2016 me semble largement prématuré.

  • Par contre, John Edwards m'a franchement impressionné. Lui aussi est très à l'aise devant un public et parvient à jouer son texte au lieu de le lire. Beaucoup d'effets de manche certes, de trucs de prêcheurs ("Hope is on the way"), mais aussi des moments réellement forts, comme sa partie sur le racisme. Une vraie satisfaction.

  • John Kerry est toujours difficile à juger. Il a des tics absolument insupportables : un débit beaucoup trop rapide, un sens du rythme complétement déficient, un rictus crispé quand il est interrompu par les bravos du public. Son discours était aussi trop long, et les premières minutes, comme le note Billmon, franchement catastrophiques. Mais il s'est amélioré sur la fin, et quelques petites phrases parviennent à sauver la mise. Kerry bénéficie en fait de sa mauvaise réputation : tout le monde s'attend à ce qu'il soit mauvais, et une prestation moyenne apparaît comme une victoire.

  • Le plus impressionnant, en fait, aura été Bill Clinton. Non seulement parce qu'il est un tribun exceptionnel de maîtrise et d'aisance. Non seulement parce qu'il crée sans efforts apparents un lien émotionnel fort avec son audience. Mais aussi parce que son argumentation est d'une perversité incroyable. En deux occasions, sur son passé de draft-dodger et sur les baisses d'impôts, il utilise la haine qu'il inspire aux Républicains pour discréditer la personne et les politiques de George W. Bush. Tout simplement brillant. Chapeau l'artiste!