02 août 2004
Il est rarement possible de redécouvrir une ville. Au sens propre, j'entends. Le moment d'exaltation liée à la découverte d'un univers inconnu, d'une géographie nouvelle, d'une atmosphère particulière, est a priori unique. Il suffit en général de quelques heures pour se dessiner intérieurement une représentation des lieux et chasser à jamais les clichés associés au Nom de la ville que l'on aborde. Tout le reste n'est qu'addition. Les jours suivants, les visites ultérieures servent à affiner les impressions antérieures, à compléter pièces après pièces la carte mentale de la ville, à faire résonner les émotions des voyages précédents. Mais il n'est plus possible de tout reprendre au début, de retrouver l'excitation fébrile de ces premières heures où la ville semble se construire sous nos yeux.
Du moins le croyais-je avant de retourner à Rome. Mon premier et unique voyage dans la ville éternelle était certes lointain. Mais j'avais encore en tête des images distinctes de la splendeur du Vatican, de la beauté monumentale du Panthéon et du ridicule pompeux du monument à Victor Emmanuel II ; le souvenir d'un début de soirée sur une Piazza Navona envahie par les vendeurs de contrefaçons ; un agréable après-midi dans le parc de la Villa Borghèse ; et un matin magique à regarder la ville depuis les terrasses ombragées du mont Palatin. Il n'allait pas, pensais-je, être très difficile de retrouver instinctivement ma carte mentale de Rome en joignant ces points lumineux.
Erreur absolue. Je me suis retrouvé au coeur de la ville absolument désorienté, sans aucun repère auquel m'accrocher. Comme si je n'avais jamais mis les pieds à Rome. Mieux : comme si la ville que j'avais visité 10 ans auparavant ne partageait avec celle où je me trouvais qu'un patronyme et quelques monuments mondialement célèbres. Notez que je ne m'en plains pas, au contraire. D'abord parce que le relatif effacement des souvenirs autorise deux phases de découverte là il ne devrait y en avoir qu'une. Ensuite, surtout, parce que cette re-découverte permet aussi une ré-évaluation de la ville qui n'est pas encombrée par le bagage des impressions précédentes. Et les raisons qui font que j'aime désormais profondément Rome sont très différentes de celles pour lesquelles je l'avais (seulement) apprécié voilà dix ans : plus pour les monuments de la Renaissance que pour ceux de l'Antiquité (à part le Panthéon), plus pour les petites ruelles de Trastevere et du Campo di Fiori que pour les places débordantes de touristes (à part la Piazza Navona), plus, je l'espère, pour la Rome des Romains que pour la ville des cartes postales.
Cette expérience me fait me demander quelles grandes villes je pourrais aujourd'hui visiter avec la sensation d'y être en terrain familier. Moins d'une dizaine, me semble-t-il : Paris et Vancouver, évidemment, parce que j'y ai vécu ; Prague et San Francisco par la vertu des voyages multiples et de mon attachement sentimental à ces villes ; Chicago, parce que le souvenir est encore frais et que la présence du lac Michigan aide à structurer la représentation spatiale ; Los Angeles et Las Vegas, sûrement, si l'on se limite au Downtown et aux attractions familières ; Istanbul, peut-être, encore que la visite en car n'aide pas à s'approprier les lieux. Et puis après? Ma connaissance des grandes villes françaises, à l'exception de Marseille, est dérisoire. Mes souvenirs de Londres, de Bruxelles et d'Helsinki trop flous pour être véritablement utiles. L'Espagne, la Grèce, Amsterdam, les grandes villes allemandes, l'Europe de l'est les buts de voyages rêvés qui ne se sont jamais concrétisés. L'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Asie, l'Australie des terra incognita, apparemment impossible à atteindre.
Ma liste est à la fois déprimante de brièveté et pleine de promesses. Je serais curieux de savoir où en sont mes lecteurs.
Mis en ligne par Emmanuel à 22:14 | Lien permanent |