14 septembre 2004
Je commence à devenir fou. A cause du débat actuel sur les délocalisations. Que la gauche unanime s'y mette, passe encore. Que Sarkozy essaye de tirer les marrons du feu, aussi, on n'en attendait pas moins de lui. Mais quand des économistes -le nom de Jean-Hervé Lorenzi vient immédiatement en tête- viennent hurler au loup avec le bon peuple, ça commence à devenir inquiétant.
De deux choses l'une. Soit tout ce que j'ai péniblement appris sur le commerce international est complètement faux. C'est possible : mais il faudra plus pour m'en convaincre que de monter en épingle quelques exemples de "patrons voyoux", de "licenciements boursiers" ou de s'en référer, sans preuves aucune, à la "nocivité des 35 heures" ou au "déclin de la France".
Soit alors le discours actuel n'est que la nième variante d'une vieille antienne protectionniste, qui recycle les mêmes clichés idiots sur la "compétitivité", continue de penser le commerce comme un jeu à sommes nulle et le coût du travail comme totalement déconnecté de la productivité (allez lire cet article de Paul Krugman de 1994, et voyez si vous trouvez des similitudes avec le débat actuel). Dans ce cas-là, le devoir des économistes sérieux est de le dire. Ce qu'avait fait Philippe Martin, dans une tribune (pdf) qui reste encore le meilleur antitode à la stupidité du discours ambiant. Ce que font aussi Philippe Askenazy et Pierre Cahuc dans un dossier par ailleurs assez consternant paru dans Le Monde Economie d'hier.
L'enjeu est bien plus qu'un simple problème de chiffrage de l'impact réel des délocalisations. Les analyses fondées sur la peur, sur l'exagération des chiffres et sur l'amalgame entre quelques secteurs industriels et l'économie dans son ensemble conduisent à des mauvaises politiques économiques. La peur des délocalisations est exploitée par tous les lobbies patronaux pour faire rentrer dans le rang les salariés les plus fragiles. Aussi pour obtenir du gouvernement des subventions et des baisses d'impôts. Mesures qui ne vont évidemment rien changer aux problèmes de fond : le chômage de masse, la dégradation des conditions de travail, le ralentissement dramatique de la mobilité sociale. Ce qui confirmera aux yeux de l'opinion que le politique est impuissante face aux ravages causés par la mondialisation.
En 1997, Jacques Généreux publiait un (plutôt bon) petit livre pour expliquer que l'horreur n'était pas économique, comme le clamait alors Vivianne Forrester, mais bien politique. C'est-à-dire que les problèmes de la France étaient d'abord dus à des politiques économiques désastreuses et pas à des lois d'airain de l'économie, qui conduiraient nécessairement à la fin du travail et au règne absolu du capitalisme sauvage. Et donc qu'une action politique énergique pouvait résoudre les problèmes créés ou exacerbés par les fautes des dirigeants d'hier. L'ouvrage s'appelait Une raison d'espérer. Je reste pleinement d'accord avec cette analyse. J'en viens à douter, au vu de la suite, de la pertinence du titre.
Mis en ligne par Emmanuel à 20:27 | Lien permanent |