05 octobre 2004

L'economie pour les nuls : dette publique 

Au courrier des lecteurs, une double question de msc sur un sujet important :
On parle beaucoup du poids de la dette, des intérêts à rembourser, tout ça. Ce qui m'amène à cette interrogation : à qui la France emprunte-t-elle ? Le fait de devoir de l'argent donne-t-il un pouvoir quelconque aux créanciers sur la France ?
Il serait possible de répondre laconiquement ainsi :

1. A tout ceux qui veulent bien lui prêter de l'argent.
2. Non, à part le droit de se faire rembourser les sommes prêtées à échéance (et de recevoir des intérêts au cours de la durée de vie de l'obligation).

Mais je suppose que mon correspondant (que je prie de bien vouloir excuser ma réponse tardive) et mes lecteurs souhaitent une réponse plus complète. Je précise d'emblée que ma connaissance des finances publiques est au mieux partielle et que toute précision ou correction est la bienvenue en commentaires.

Il est utile de commencer l'explication en rappelant que la dette publique s'élevait, selon l'INSEE (pdf), à 992 milliards d'euros à 31 décembre 2004. Soit 63,7% du PIB, ce qui est beaucoup, mais au même niveau que les Etat-Unis (63,1), moins que la moyenne de la zone euro (70,7) et très loin des mauvais élèves de la classe européenne (100,2 pour la Grèce, 106,2 pour l'Italie et 109,9 officiellement pour la Grèce). Sur ce total, l'Etat est endetté à hauteur de 799 milliards d'euros. Le reste de la dette est supporté par :
  • "les organismes divers d'administrations centrales" (56,3 milliards) : sous la dénomination d'ODAC se dissimule une liste hétéroclite de structures, des grandes écoles aux musées nationaux en passant par la CADES, l'organisme qui gère la dette sociale de la France.

  • les "administrations publiques locales" (105,3 milliards) : il s'agit surtout, mais pas seulement, des collectivités territoriales.

  • les "administrations de Sécurité sociale" (31,4 milliards) : regroupe les caisse du régime obligatoire de Sécurité sociale et les hôpitaux participant au service public hospitalier.
L'Etat emprunte auprès des investisseurs en émettant des titres de dette ou obligations. Les titres de dette se distinguent selon leur échéance (la date à laquelle la somme prêtée par l'investisseur lui sera remboursée par le trésor) et leurs taux d'intérêts (la somme que le Trésor verse chaque année au porteur de l'obligation).

Un exemple, pour mieux me faire comprendre : un investisseur achète aujourd'hui pour 1 000 € une obligation à échéance octobre 2014, qui spécifie un taux d'intérêt de 6%. Chaque année, jusqu'en 2014, l'investisseur recevra un intérêt (qu'on appelle coupon, en souvenir de l'époque où les titres de dettes papier comportaient des coupons détachables à présenter au Trésor pour le paiement des intérêts) de 60 €. En octobre 2014, à l'échéance, le Trésor lui remboursera en totalité la valeur faciale de l'obligation (appelée le principal), soit 1000 €.

Notons que les titres de dette publique se présentent, en France, sous trois formes principales et standardisées :
  • Les OAT (Obligations assimilables du trésor) : titres de dette à long terme, dont l'échéance va de 7 à 30 ans. Ils représentent la majorité de la dette de l'Etat, avec un encours fin août 2004 de 545 milliards d'euros (chiffres sur le site de France Trésor).
  • Les BTAN (Bons du Trésor à taux annuel) : emprunts à moyen terme, avec un échéance de 2 à 5 ans. Leur encours était de 176 milliards d'euros au 31 août 2004.
  • Les BTF (Bons du Trésor à taux fixe) : emprunts à court terme (échéance maximale d'un an). Ils représentait 106 milliards de dette fin août 2004.
Revenons aux questions de msc. Auprès de qui l'Etat emprunte-t-il? Pour les OAT, la réponse est donnée par ce magnifique camembert établi par la Banque de France.



A noter la part importante de la dette détenue par les assurances, qui placent les primes en obligations de façon à pouvoir compter sur des rentrées futures d'argent régulières. Les établissement de crédits sont les banques, les OPCVM les Organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Le fait que plus de 40% des OAT soit détenu par des investisseurs étrangers (qui peuvent être de fonds de placement comme des banques centrales) n'est pas en soi inquiétant. Il signifie néanmoins qu'une partie du budget de la France sert à rembourser des méchants rentiers étrangers, et pas seulement des méchants rentiers français.

Quels droit ont ces investisseurs sur la France? Sur un plan théorique, comme écrit précedement, le droit se limite à ce que l'emprunteur rembourse le principal à l'échéance, et paye les coupons à la date convenue. Si l'Etat était un ménage ou une entreprise, le créancier aurait aussi des droits en cas de faillite. Mais l'Etat n'est ni un ménage, ni une entreprise et le problème des droits des créancier si la France se trouve incapable de remourser sa dette n'est pas, me semble-t-il, défini a priori. L'Etat n'aurait pas, par exemple, à vendre l'Elysée ou les tableaux Louvre pour payer ses créanciers.

Sur un plan pratique, le recours fréquent et massif à l'emprunt signifie que l'Etat doit prendre en compte les intérêts des créanciers dans la formulation de sa politique économique. Même si les titres de dette publique sont très sûrs comparés à des obligations d'entreprises ou à des actions, ils confrontent leurs détenteurs à trois risques principaux :
  • Le risque d'inflation : les obligations ne sont pas, à part les OATi, indexées sur l'inflation. En conséquence, une poussée inflationniste soudaine et durable peut être très dommageable pour le porteur d'une obligation : si le taux d'intérêt annuel est de 6%, mais l'inflation de 10%, l'investisseur pert de l'argent sur son investissement.

  • Le risque de change : une banque japonaise qui achète des obligations libellées en euros perd de l'argent si l'euro s'apprécie contre le yen.

  • Le risque de non-paiement : il est généralement très faible pour les Etats occidentaux, qui émettent des obligations dans leur monnaie nationale.
La politique monétaire étant du ressort de la BCE, c'est à elle de rassurer les investisseurs quant aux deux premiers risques. Par contre, l'Etat français doit convaincre les porteurs d'obligation que sa dette est sous contrôle. Sinon, on entre dans le fameux effet boule de neige de la dette : les épargnants demandent à l'Etat des intérêts de plus en plus élevés sur les obligations, ce qui augmente le coût de l'emprunt public et l'encours de la dette, ce qui pousse les investisseurs à réclamer des taux d'intérêt encore plus élevés. Et ainsi de suite jusqu'à la chute finale. Est-ce un risque réel pour la France?

Les marchés financiers ne semblent guère inquiets pour le moment, comme le montre ce graphique (source : France Trésor) :



Cela ne veut pas dire qu'une stratégie de la réduction de la dette publique ne soit pas souhaitable. La France est arrivée à un point où l'emprunt est surtout utilisé pour financer les dépenses courantes, et plus pour des investissements à long terme. En 2003, les intérêts payés par l'Etat se sont élévés à 38,7 milliards d'euros, soit environ 2,5% du PIB. C'est trop, surtout que le vieillissement de la population ne va pas améliorer le tableau à long terme.

Avec le recul, je crois que l'une des plus grandes erreurs économiques du gouvernement Jospin aura été de ne pas utiliser une partie de la "cagnotte" de 2000 pour réduire la dette. A sa décharge, il faut dire que l'exploitation politique du sujet par la droite ne lui facilitait pas la tâche. Et que même les économistes, à l'époque, applaudissaient des deux mains le plan de baisse des impôts.