01 octobre 2004

L'étrange victoire 

Ne boudons pas notre plaisir. Même la majorité des blogueurs bushistes accordent la victoire à Kerry, fût-ce d'une courte tête. Et pourtant j'avoue que j'ai, comme Phersu, été assez déçu par la prestation de Kerry. Beaucoup s'extasient aujourd'hui sur la prestance du candidat démocrate, sur son calme, sur son côté présidentiel. Mais tout cela était déjà apparent pour qui a déjà vu Kerry dans un débat, ou avait pris la peine de lire de lire l'excellent article cité dans la note précédente.

Ce qui était en question était la capacité de Kerry à vraiment prendre l'avantage contre Bush sur le fond du débat. Le bilan est mitigé. Tout le monde (voir surtout Sullivan, Oxblog, Drezner et NRO -sic- à droite, Marshall, DeLong, Kleiman et Pandagon à gauche) a déjà relevé en direct les bons et les mauvais moments de chaque candidats. Je retiens surtout les occasions gâchées par Kerry : pas de critique du chiffre des 100 000 soldats irakiens cité plusieurs fois par Bush (critique pourtant déjà faite dans le discours de New York), pas de référence à Abu Ghraib, pas de réponse à Bush sur le fait que sa stratégie de promotion de la démocratie est démentie par les faits, de la Russie au Pakistan, pas de rappel qu'il devenait évident, en mars 2004, que Saddam Hussein était bel et bien "désarmé".

Bien sûr, Bush a été, sur la forme, bien pire : cherchant ses mots, grimaçant, interpellant Jim Lehrer à la manière d'un élève indiscipliné (on a retrouvé le "Le'me finish" menaçant de l'interview avec la RTE). La prestation a été sans doute encore plus désastreuse que celle de la conférence de presse de mai dernier. Mais je crains, comme Phersu encore, que tout cela n'ait finalement que peu d'importance. Le style de Bush est bien connu des électeurs depuis 4 ans et personne n'aura été surpris de le voir gesticuler et de l'entendre prononcer des mots comme moo-laws ou nu-ku-lar (dommage d'ailleurs que je n'ai pas pu voir le débat dans un bar, le drinking game aurait été animé).

Par contre, certaines attaques de Bush, pour être foncièrement malhonnêtes, m'ont semblé terriblement efficaces. Ce sont toujours les mêmes : le coup du "flip-flopper" sur tous les tons, le retour sur l'affaire des 87 milliards pour l'Irak, le "wrong war, wrong place, wrong time" ad nauseam, le rappel de la phrase sur la "coalition of the coerced and the bribed". Kerry a tenté, plutôt mieux que d'habitude, de répondre à certaines de ces charges. Mais toute justification doit passer par une longue discussion sur l'avant-guerre d'Irak, ou sur le fonctionnement du Sénat américain. Autant dire que la mission est quasiment perdue d'avance, et que l'attaque de Bush reste largement sans réponse. Et je ne vois pas pourquoi ce qui a si bien fonctionné jusque là dans la campagne s'arrêterait d'un coup d'être efficace.

Peut-être que j'ai tendance à surestimer la puissance de la machine de propagande républicaine et la capacité de Bush à convaincre l'électeur indécis, contre toute évidence, que son bilan est globalement positif.

Mais les douches froides du passé ont réussi à m'échauder. Je me souviens que Gore était censé avoir gagné les débats en 2000, avant que la furie médiatique n'inverse le résultat. Je me souviens des espoirs de l'été 2002, quand les scandales financiers avaient mis Bush sur la défensive et que l'on s'acheminait vers une consolidation de la majorité démocrate au Sénat, et la reconquête, peut-être, de la Chambre des représentants. Je me souviens d'une récente convention démocrate qui avait stupidement cherché à élever le débat, et d'une convention républicaine qui est parvenu à le remporter en jouant sur la peur et sur la calomnie.

Je me rappelle surtout d'un matin triste à pleurer de novembre 2000, du même en novembre 2002. La leçon est apprise, désormais : la chute est d'autant plus rude que les espoirs avaient été grands. Je préfère ne pas m'emballer.