14 octobre 2004

Troisième set... et match? 

Soyons clair : mes réactions au troisième débat Bush-Kerry de cette nuit ont un intérêt aussi évident qu'un recueil de poésie co-écrit par les pensionnaires de la Star Ac'. D'une, tout le monde s'est déjà prononcé sur la question, avec plus de finesse, d'acuité et de toute façon plus de célérité que moi (comme d'habitude, les analyses d'Andrew Sullivan, de Josh Marshall et des chroniqueurs de Slate sont excellentes). De deux, je me suis rendu compte le week-end dernier que la lecture des comptes-rendus n'était intéressante qu'à condition d'avoir déjà regardé le débat. De trois, les deux premières expériences de compte rendu n'ont pas, et c'est une litote, déchaîné l'enthousiasme de mes commentateurs.

Mais la liberté du blogueur est aussi de pouvoir prendre la pose du rebelle derrière (ou devant?) son écran, et de dire crânement "euh non, pas tout de suite" aux exigences supposées de son lectorat. Quelques remarques en vrac, donc, sur l'affrontement, derrière pupitre et dans l'Arizona, de la nuit dernière :
  • Bush était beaucoup plus à l'aise que lors du premier débat, et moins criard que lors du second. Il serait exagéré de dire qu'il a trouvé le ton juste (son rire à la Beavis and Butthead est horripilant au possible) mais le progrès est évident. Du coup, j'ai de plus en plus de mal à accorder du crédit à la thèse médicale pour expliquer les difficultés d'élocution de Bush (voir cette vidéo). Au vu de la suite, je pense que la performance exécrable au premier débat s'explique beaucoup mieux par le manque de pratique. Pratique des environnements hostiles et des contradicteurs expérimentés, pour la version semi-officielle. Ou pratique de la réponse avec une bosse dans le dos et un souffleur dans l'oreille, selon une thèse conspirationniste qui me trouble de plus en plus.

  • Kerry, sans coup d'éclats, a bien mené sa barque. L'essentiel était de convaincre les électeurs qu'il avait l'étoffe d'un président et que sa réputation de flip-flopper était très exagérée. Les deux objectifs semblent atteints aujourd'hui. Il est d'ailleurs frappant que Bush n'ait quasiment plus attaqué Kerry sur ses changements d'opinion, et ait tout misé sur l'accusation de "Massachussets liberal".

  • La dénégation, par Bush, d'avoir jamais dit qu'il ne se préoccupait pas beaucoup du sort de Ben Laden, est une erreur majeure (et ma phrase est franchement mal construite). Je ne suis pas sûr qu'il faille en tirer trop de conclusions sur la Weltanschauung de Bush. Mais c'est clair que c'est le type de ficelle, très utile dans d'autres contextes, qu'il est suicidaire d'employer devant des milliers de journalistes et des millions d'internautes qui savent utiliser Google.

  • Cette erreur est d'autant plus embarrassante pour Bush que, sans elle, les journalistes auraient pû passer leur temps à disséquer les deux accros de Kerry : une affirmation erronée selon laquelle le président n'avait jamais rencontré le groupe des députés noirs au Congrès et le prononcé du mot "lesbian", à une heure de grande écoute, pour caractériser l'une des filles de Dick Cheney. Un truc intéressant est que, dans les deux cas, on sent Kerry chercher ses mots, hésiter un peu et finalement, pour sauver sa phrase et son élan, prononcer un terme ou lancer une affirmation dont la validité ou l'opportunité est douteuse. C'était la même chose pour le "global test" du premier débat.

  • Comme Tobias Schwarz, cette phrase de Bush m'a fait bondir : "Our health care system is the envy of the world". Le pire est que j'imagine qu'une majorité des Américains en est convaincu, et que la dernière chose à répondre est : "non, monsieur le Président, ça fonctionne mieux en France" ou "le rapport d'une agence de l'ONU prouve que vous avez tort".

  • Au cours des 4 débats, il n'a pas du tout été fait mention de Guantanamo, d'Abu Ghraib et de l'opposition de Kerry à la peine de mort. C'est assez étonnant, dans la mesure où l'on s'attendrait à ce que les équipes de campagne conseillent aux candidats de varier les attaques pour prendre l'adversaire de cours. Au lieu de cela, ce troisième débat a été trop souvent une redite assez pénible des échanges du premier et du second.
Conclusion finale : les débats ont fait un bien fou à un candidat démocrate que tout le monde voyait perdu il y a deux semaines. Faut-il en conclure que Kerry se dirige, sauf catastrophe, vers une victoire assurée? Non. La seule conclusion à tirer est que deux semaines sont une éternité en politique. Vu qu'il en reste encore deux et demi d'ici aux élections, il serait déraisonnable de commencer à pavoiser.