06 novembre 2004

De la démocratie en Amérique 

Mark Kleiman est, comme souvent dans les moments troublés, une voie de la raison :
The convention that the majority embodies wisdom is, after all, rather a silly one. It's tactically necessary for candidates to pretend to respect the opinions of the voters, but then it's tactically necessary for courtiers to pretend to respect the opinions of the monarch. [...]

The commitment of a small-d democrat is to respect the authority of the majority, not to pretend to respect its wisdom or virtue.

If, for example, you think that the Bush regime has made the United States both a user of torture and an active accomplice in the use of torture by others, and if you think that is wrong, an electoral defeat shouldn't change those opinions.
Exactement. Il y a chez certains supporters de Bush un côté "vous avez moralement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire" qui est très désagréable. Et ce n'est pas être anti-démocrate que de dire cela. (Même s'il est exact que ce paragraphe abuse un peu des références à la politique française des années Mitterrand)

Kleiman conclut sa note sur une question provocante :
Consider the following pair of premises, each of them, I believe, true:

1. All power corrupts.

2. Democracy means putting all power in the hands of the voters.

What conclusion follows?
Je suis, en bon montesquien, très convaincu de la justesse de la première premisse. Mais la deuxième ne me semble pas tout à fait exacte : l'une des caractéristiques des démocraties occidentales est justement qu'elles ne concentrent pas tous les pouvoirs entre les mains de l'électorat.

Il y a plusieurs moyens de diluer l'influence immédiate du peuple. On peut garantir l'indépendance de certains corps détenteurs, juridiquement ou pratiquement, d'un pouvoir politique (les juges du siège, les hauts fonctionnaires). On peut instaurer un contrôle de constitutionnalité par des juges non élus. On peut, surtout, multiplier les procédures par lesquels le peuple choisit, directement et indirectement, les détenteurs du pouvoir politique, de façon à multiplier les légimités et contrôler le pouvoir par la confrontation permanente des pouvoirs - voir le fameux chapitre 11 de L'Esprit des Lois sur ce point.

En fait, le vrai problème est sémantique. L'acception moderne de la "démocratie" s'est éloigné sensiblement d'un sens classique qui collait vraiment à l'étymologie grecque. James Madison peut ainsi écrire, dans le dixième texte des Federalist Papers :
A republic, by which I mean a government in which the scheme of representation takes place, opens a different prospect, and promises the cure for which we are seeking. Let us examine the points in which it varies from pure democracy, and we shall comprehend both the nature of the cure and the efficacy which it must derive from the Union.

The two great points of difference between a democracy and a republic are: first, the delegation of the government, in the latter, to a small number of citizens elected by the rest; secondly, the greater number of citizens, and greater sphere of country, over which the latter may be extended.
La démocratie libérale, pratiquée dans les pays occidentaux, cherche à être un gouvernement pour le peuple. Mais elle n'est pas véritablement un gouvernement du peuple, et encore moins un gouvernement par le peuple (malgré ce qu'essaie de nous faire croire l'article 2 de la Constitution française).