16 novembre 2004

En attendant Godet 

Je lis une tribune de Michel Godet dans Le Monde et, stupeur, je suis complètement d'accord avec lui : oui, les conséquences néfastes des délocalisations sont très exagérées; oui, la désindustrialisation n'est pas un problème, tant qu'elle signifie que la productivité industrielle à la hausse, et que l'emploi dans les services augmente; non, le largage de fonds publics pour maintenir en vie des entreprises condamnées n'est pas une bonne idée.

Heureusement, Godet se rattrape dans les trois derniers paragraphes. D'abord, étrangement, en avançant un argument qui contredit largement tout ce qu'il vient de dire auparavant :
Une question plus importante est rarement posée : comment font l'Italie ou la Grande-Bretagne pour avoir toujours 800 000 emplois industriels de plus que la France, avec des populations comparables ? Malgré sa "désindustrialisation", la Grande-Bretagne a, d'après Eurostat, une part de l'industrie dans l'emploi (25 %) et le PIB (20 %) quasi identique à celle de la France.
Pardon? Godet vient de passer plusieurs paragraphes à nous expliquer que la désindustrialisation n'est pas un problème, et, subitement, il prend le nombre total d'emplois industriels comme indicateur de bonne santé économique? D'accord, cette observation lui permet d'introduire peu subtilement le fait que le Royaume-Uni a une population active plus importante que celle de la France. Mais pourquoi parler du cas italien, dans ce cas-là? L'argument sent la transition un peu malhonnête, comme si Godet ne pouvait pas consacrer une tribune entière à écrire des choses intelligentes. Parce que, évidemment, le cas britannique lui permet d'enchaîner sur la vieille antienne du lien entre dépense publique et chômage :
[La Grande-Bretagne] enregistre depuis vingt ans une croissance du PIB par tête supérieure à la nôtre de 1 point par an, et connaît un taux de chômage trois fois plus faible que de ce côté-ci de la Manche.

Il n'y a pas de miracle dans ces performances, qui s'expliquent par les réformes structurelles du marché du travail et de la dépense publique, s'accompagnant d'un taux d'emploi plus élevé de 10 points. C'est bien l'activité qui crée la richesse et l'emploi. Plutôt que d'agiter le spectre de la désindustrialisation et de la délocalisation, nos dirigeants feraient bien d'accélérer le pas des réformes, à commencer par celle de l'Etat. La dépense publique, de 7 points supérieure à la moyenne communautaire, contraint nos entreprises à courir dans la compétition internationale avec des semelles de plomb.
Il est indéniable que le taux de chômage est inférieur au Royaume-Uni (par rapport à la France) - même si le "trois fois plus faible" cité par Godet est faux (il est d'usage, quand on fait des comparaisons internationales, de comparer des chiffres comparables).

Il est pareillement indéniable que les prélèvements obligatoires sont supérieurs en France (par rapport au Royaume-Uni, et à la moyenne européenne) - même si Godet est un peu malhonnête en faisant référence à la "dépense publique" (le chiffre des PO est déjà un indicateur suffisamment contestable pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en choisir un encore pire).

Est-ce que cela veut dire qu'il y a un lien de causalité entre niveau des prélèvements obligatoires et chômage? Non, ceux qui ont essayé de trouver une corrélation se sont cassés les dents. D'ailleurs, le niveau de dépenses sociales semblerait plutôt associé positivement avec la "compétitivité".

Conclusion : quand Michel Godet arrêtera de colporter des idées reçues et des statistiques douteuses, ses textes pourront être des contributions utiles au débat public. En attendant, il n'est pas nécessaire de le prendre au sérieux.