25 novembre 2004

Jeu de massacre au NYT 

Faut-il remplacer tous les chroniqueurs (je traduis comme ça, mais en fait ce sont des columnists, institution très anglo-saxonne qui n'a pas vraiment d'équivalent dans la presse française) du New York Times? C'est la question qui me hante (avec un h comme dans alibi) en ce moment, parce qu'il suffit que la charge de travail se fasse un peu trop pesante pour que l'esprit se cherche immédiatement des échappatoire futiles et chronophages. Et la réponse est : oui, mais.

Sur les 7 chroniqueurs en lice, certains cas sont faciles à régler. Bill Safire va partir et il était plus que temps. Paul Krugman est en vacances et il serait souhaitable qu'il y resta, tant ces chroniques pour le Times depuis 2001 sont à pleurer quand on les compare à ces textes antérieurs pour Slate, Fortune et pour le New York Times Magazine (révélation personnelle : il est douteux que je sois jamais tombé dans l'économie sans Krugman). Je ne regretterai pas non plus Bob Hebert, s'il devait rendre son tablier. C'est un peu injuste de ma part, surtout vu le travail extraordinaire qu'il a fait pour attirer l'attention sur les ravages de la "War on drugs" à Tulia, TX. Mais j'avoue qu'il n'a jamais réussi à m'intéresser à des problèmes (le sort des pauvres et des minorités) qui restent difficiles, même s'ils sont essentiels. Enfin, Maureen Dowd m'a toujours laissé froid, avec sa manie de préférer les paillettes de la politique spectacle à l'analyse argumentée.

En voilà quatre de débarqués sans hésitation. Ce qui nous laisse trois cas plus épineux. J'aimais beaucoup Nicholas Kristof à une époque, et sa couverture du conflit au Darfur a été courageuse, presciente et acharnée. Mais ces commentaires après l'élection américaine ont été suffisamment scandaleux pour que je concoive la nécessité de le remplacer à ce poste. J'appréciais aussi David Brooks, à une époque, avant qu'il ne vienne au Times. Soyons clairs : c'est un odieux républicain, avec des tendances néoconservatrices. Mais un républicain qui reste acceptable pour une bonne partie de la gauche, parce qu'il écrit bien, qu'il est poli et qu'il a un vrai talent pour tirer des conclusions sociétales séduisantes à partir d'observations sociologiques minimales (voire complètement bidonnées, mais ça, je ne le savais pas à l'époque). Evidemment, c'était avant qu'il n'arrive au New York Times, où le format et la fréquence des chroniques l'a progressivement réduit au rang de petit télégraphiste du Republican National Committee. On peut lui reconnaître quelques sursauts d'honnêteté, mais c'est en général trop peu ou trop tard. Allez, viré aussi, il doit être possible de trouver mieux, même dans les rangs républicains.

Ce qui nous laisse, étrangement, avec le seul Tom Friedman. Auteur d'un livre assez médiocre sur la mondialisation, spécialiste du name-dropping et enthousiaste aveuglé de la guerre en Irak. Tout cela avec un style qui combine les métaphore à deux cents et les citations à l'authenticité douteuse. Autant de tics exaspérants qui avaient été justement été ridiculisés dans un pastiche mémorable de The American Prospect en 2000. Et, très franchement, si l'on m'avait posé à brûle-pourpoint la question des chroniqueurs à débarquer l'année dernière, Friedman aurait figuré très haut dans la liste, pas loin de Safire et de Dowd. Le problème avec Tom Friedman est que, une fois de temps en temps, il nous sort une tribune vraiment exceptionnelle. Comme celle d'aujourd'hui, qui figurera à n'en pas douter en bonne place dans l'anthologie du Shrillblog :
In my next life, I want to be Tom DeLay, the House majority leader.

Yes, I want to get almost the entire Republican side of the House of Representatives to bend its ethics rules just for me. I want to be able to twist the arms of House Republicans to repeal a rule that automatically requires party leaders to step down if they are indicted on a felony charge - something a Texas prosecutor is considering doing to DeLay because of corruption allegations.

But most of all, I want to have the gall to sully American democracy at a time when young American soldiers are fighting in Iraq so we can enjoy a law-based society here and, maybe, extend it to others. Yes, I want to be Tom DeLay. I want to wear a little American flag on my lapel in solidarity with the troops, while I besmirch every value they are dying for.
Comment voulez-vous avoir envie de le virer, après ça? Impossible. Donc Tom Friedman reste, et j'en suis le premier surpris.

Il ne reste plus qu'à trouver des chroniqueurs pour remplacer les six autres. Je propose Dahlia Lithwick, Jonathan Chait et Daniel Gross. Matthew Yglesias quand il aura dix ans de plus. Bon, il va falloir aussi se trouver des chroniqueurs de droite. Je sais que si j'avance le nom d'Andrew Sullivan, des dents vont grincer, les miennes en premier. Josh Marshall suggérait Christopher Caldwell, mais je ne le connais pas et en plus il ressemble trop à Brooks. J'en viens à me demander s'il ne serait plus pas judicieux de recruter un chroniqueur bien excité du bulbe, pour montrer au monde la vraie nature du parti républicain. L'ironie de voir Ann Coulter fréquenter les bureaux d'un immeuble dont elle appelait ouvertement à la destruction serait par exemple assez délicieuse.