24 novembre 2004

Les barbares à nos portes 

Paul Reynolds, le World Affairs Correspondent de la BBC, commence une analyse (par ailleurs plutôt intéressante) sur la signification géopolitique de la crise ukrainienne par une affirmation contestable :
The crisis in Ukraine has thrown up sharp differences between the West and Russia over the future of a country which could one day be the border between the European Union and Russia itself.
L'argument selon lequel l'Ukraine serait l'Etat tampon entre l'Union européenne et la Russie devient pénible. Bien sûr, géographiquement parlant, l'Ukraine a une imposante (1 576 km) frontière avec la Russie. Donc si l'Ukraine rejoint l'Union européenne (pas avant un bout de temps quand même : le PIB par habitant y est d'environ 5 000 $, soit moins que les 6 500 $ de la Turquie), l'UE aura une frontière commune avec la Russie. La perspective entraîne généralement des cris d'horreur ("vous vous rendez compte, les Chinois n'auront qu'un seul pays à traverser pour envahir l'Europe!") et des évanouissements dans la foule.

A tort, évidemment. Au risque d'enfoncer des portes grandes ouvertes et de redonder gravement avec la carte ci-dessous, je me permets de rappeler que l'élargissement de 2004 a déjà doté de quelques sympathiques bouts de frontières avec la Russie, du côté de la Lettonie (217 km) et l'Estonie (294 km). Sans compter, bien sûr, l'enclave de Kaliningrad (Königsberg, ville de Kant), territoire russe coincé entre Pologne et Lituanie, dont tout le monde connait l'existence.





Cela dit, l'élargissement n'a pas fondamentalement changé la situation, vu que l'UE avait déjà auparavant une frontière d'une longueur appéciable avec la Russie. Depuis 1995, plus précisément, et l'entrée de la Finlande dans l'Union européenne. 1 313 km de frontières avec le grand méchant orgre russe, voilà de quoi impressionner. [Sauf à aller sur place, évidemment. Il y a très très longtemps, à une époque où Alain Madelin était à Bercy, je faisais partie d'une expédition qui s'était aventurée jusqu'à un poste frontière près de Kuusamo. Je peux confirmer qu'il n'y a absolument rien à voir, à part une barrière même pas originale et une vue magnifique sur un no man's land qui est, par définition, rempli de rien.]

Finalement, nos amis finlandais ne s'en sont pour l'instant pas si mal sortis. Surtout quand on se rappelle que la Finlande était, dans les années 1980, le symbole d'une politique d'apaisement honteuse face à l'URSS, qui allait insidieusement et inévitablement la faire entrer dans la sphère d'influence de l'Empire du mal. Et qu'un célèbre essayiste français annonçait en 1986 une Europe de l'ouest en voie d'être "finlandisée". Bien entendu, l'éclatement de l'Union soviétique a porté un coup terrible à sa crédibilité, et les médias ont depuis arrêté de solliciter son avis à tout propos.