07 décembre 2004

Référendum, piège à cons? 

Phillipe Lazar, dont la compétence en matière de sciences politiques est attestée par son titre de directeur de recherche honoraire à l'INSERM, profite d'une tribune au Monde pour s'attaquer au principe même du référendum :
L'expérience aurait dû nous l'apprendre : un référendum n'a de réelle légitimité que s'il permet de donner la valeur symbolique d'une ratification populaire massive à une décision largement majoritaire (l'indépendance reconnue de l'Algérie, par exemple). C'est un instrument de choix fruste et qui se prête à toutes les manipulations lorsque les avis sont très partagés, comme c'est le cas en l'occurrence.

Mais est-ce véritablement en toute connaissance de cause que nous serons amenés à nous prononcer ? Le texte du projet - et c'est bien un texte qu'il faudra ou non retenir - est un document juridique et technique qui, en tant que tel, dépasse largement mes compétences et, à l'évidence, celles de la majorité de mes concitoyens.

Or c'est précisément à cela que sert la démocratie délégataire : transférer à plus compétents que nous la responsabilité d'instruire et de trancher des questions qui sont beaucoup plus juridiques et techniques que ne le laisseraient penser les argumentations passionnelles des partisans acharnés du "oui" ou celles des défenseurs déchaînés du "non".
Passons sur l'usage assez étrange du terme "démocratie délégataire", au lieu de l'usuel "démocratie représentative". Passons aussi sur l'argument original qui veut que le référendum ne soit utile que s'il est un plébiscite.

Et attaquons-nous à la thèse centrale : les représentants du peuple sont plus qualifiés que les électeurs à juger les mérites d'un texte juridique complexe et la décision finale sera influencé par des facteurs extérieurs au texte. Certes, encore qu'il ne faille pas non plus surestimer les capacités des députés et sénateurs en la matière : il y a, pour chaque sujet, un petit nombre de parlementaire très bien informés et capable de se faire un avis vraiment personnel. Le reste se détermine en suivant la consigne de leurs groupes.

Mais l'objection de Lazar ne vaut-elle pas pour toute élection, réfendaire ou non? Faut-il supprimer les élections régionales parce qu'elles se jouent principalement en fonction d'une conjoncture politique nationale, et très peu sur les programmes politiques des différentes listes? Faut-il abandonner les élections présidentielles, où le succès tient au moins autant à l'"image" des candidats qu'à leurs projets pour la France? Faut-il, enfin, ne réserver le privilège d'élire les députés qui seront capables de se prononcer sur des textes complexes qu'à ceux des électeurs qui sont vraiment capables de juger des capacités juridiques des candidats à la députation?

L'argument exposé par Lazar pose donc problème : poussé à l'extrême, il signifierait que la démocratie se porterait d'autant mieux que le peuple se prononce le moins possible, ou seulement sur des sujets où sa réponse est connue d'avance. Mon objection à sa thèse est symétriquement problématique, si elle aboutit à dire que la consultation du peuple, sur n'importe quel sujet, est toujours souhaitable (l'exemple californien permet de douter fortement du bien-fondé de cette thèse).

L'intérêt principal du référendum est le surcroît de légitimation qu'il donne à un choix politique. A ce titre, il doit être réservé aux questions véritablement fondamentales. Il fait peu de doute que la ratification du traité constitutionnel européen entre dans cette catégorie.