28 décembre 2004

Réplique 

En commentaires, Marco estime que la note précédente est un ramassis de platitudes frisant le narcissisme déplacé, et me conseille amicalement de me taire si ne je n'ai rien de d'intelligent à dire concernant le séisme au large de l'Indonésie. Cela mérite réponse, non seulement parce que mon contradicteur est un lecteur fidèle, mais aussi parce que, en l'espèce, il a largement raison.

Pour ma défense, je dirais que le terme "vernis de culture" n'a jamais, à ma connaissance, eu de connotations positives. Et que le propos de la note n'était pas, pour une fois, de dire que les médias font mal leur travail. Sur le premier point, le terme le plus correct a été rapidement privilégié par les journalistes. Sur le second, la référence à des précédents historiques célèbres a bien été évoquée dans les médias. A quoi servait alors cette note? D'abord à montrer qu'on est atrocement mal informé quand on est privé d'un quotidien national et/ou d'Internet (pas franchement une révélation, certes), comme c'était mon cas ce week-end. Et ensuite à m'éduquer moi-même, comme c'est le cas pour la grande majorité des notes qui se trouvent sur ce blog.

Je pourrais aussi répondre, avec seulement une pointe d'ironie, que le ressort de la grande majorité des blogs généralistes est justement d'enchaîner des platitudes sur des sujets à propos desquelles leurs auteurs ne connaissent (au mieux) pas grand chose. Cela dit, il est indéniable que la note précédente ne fait pas preuve d'une profondeur délirante, et que son anecdotisme paraît choquant eu égard au drame humain en cours.

J'espère qu'il n'est pas trop tard pour y rémedier. Voilà donc ce que j'ai de vaguement profond et de pseudo-intelligent à dire sur la catastrophe naturelle qui a frappé l'Asie du Sud.

D'abord, il n'y a pas moyen d'échapper au caractère tragiquement exceptionnel de l'événement. Les médias ont souvent tendance, de manière à la fois explicable et largement inévitable, à survendre le présent et à abuser du "sans précédent". J'ai souvent tendance à aller dans le sens inverse, au risque de sombrer dans le relativisme historique. Mais pas cette fois. Il est certes possible de retrouver dans l'histoire des catastrophes naturelles plus meurtrières. Mais elles sont de moins en moins nombreuses à mesure que le bilan humain s'élève. Les tsunamis de dimanche dernier ont déja fait plus de victimes que le tremblement de terre en Arménie de 1988, qui était dans mon souvenir la catastrophe naturelle la plus effroyable que j'avais suivi dans les médias (à tort, d'ailleurs : il y a eu beaucoup plus de victimes au Bengladesh en 1991).

Ensuite, l'esprit humain cherche toujours à rationaliser ce type d'événements en cherchant des coupables, des responsables directs ou indirects et des leçons morales. D'où la mise en relief depuis dimanche de l'absence d'un système d'alerte fonctionnel dans l'Océan indien. Mais, d'une part, il est d'autant plus difficile de mettre en place des mesures préventives que les catastrophes sont rares (et donc, géologiquement, plus dévastatrices). Et d'autre part, s'il est évident qu'un système d'alerte aurait pu sauver des milliers de vie en Inde et au Sri Lanka, il n'est pas sûr qu'il aurait servi à grand chose à Sumatra, où les vagues sont arrivées quelques minutes après le séisme. La puissance du tremblement de terre, et donc des vagues, était, en un sens, simplement irrésistible. Comme le remarque justement un éditorial du New York Times cité par Matthew Yglesias :
[T]he underlying story of this tragedy is the overpowering, amoral mechanics of the earth's surface, the movement of plates that grind and shift and slide against each other with profound indifference to anything but the pressures that drive them. Whenever those forces punctuate human history, they do so tragically. They demonstrate, geologically speaking, how ephemeral our presence is.
Enfin, et c'est là où mon relativisme forcené reprend le dessus, il ne faut pas oublier que l'un des grandes évolutions de l'histoire du monde au cours des derniers siècles a été le renversement du ratio entre morts dus aux forces de la nature (catastrophes naturelles, famines, épidémies) et ceux dus à l'action destructrice de l'homme (conflits interétatiques, guerres civiles, et leurs conséquences sanitaires). La guerre en République démocratique du Congo a fait, selon l'International Rescue Commitee, plus de 3 millions et demi de victimes depuis 1998. Il est compréhensible, mais assez tragique, que nous soyons plus touchés par les victimes d'événements sur lesquels nous n'avons aucun contrôle (comme les catastrophes naturelles) que par celles de d'événements qu'il est, sinon toujours possible, du moins concevable de pouvoir prévenir (comme les guerres civiles ou les famines).