10 décembre 2004

Révisionnisme 

Je suis assez impressionné par la manière dont la droite a réussi à remporter le débat public sur les 35 heures. En particulier par la capacité à faire croire, comme le soutenait sans rire Jean-François Copé ce midi sur la radio du Grand Capital, que le dispositif avait détruit des emplois. Et que les estimations de plusieurs milliers d'emplois créés ne valaient pas plus que le coût du papier du tract socialiste sur lesquelles elles étaient imprimées.

Ce qui est complètement faux. Car toutes les études économétriques sérieuses montrent que les 35 heures ont bel et bien eu un effet positif sur le niveau d'emploi. Effet certes inférieur aux optimistes prédictions du gouvernement Jospin en 1997. Mais effet indiscutable, qui se chiffre entre 300 000 et 400 000 emplois créés. Notons immédiatement que le calcul se fait ceteris paribus, c'est à dire qu'on cherche à isoler la variable "entrée en vigueur des 35 heures". Les contre-arguments classiques du style "mais c'est grâce à la croissance" ou "mais c'est grâce aux effets d'aubaine" dénotent juste l'inculture économique du contradicteur.

Comme j'entrevois déjà les objections outrées de la part de certains de mes commentateurs, je renvoie aux commentaires de deux affreux gauchistes, Patrick Artus et Laure Maillard, qui signaient l'année dernière pour CDC Ixis une note dépassionnée sur le sujet (pdf) :
Au total, le passage aux 35 heures en France
  • aurait accru l’emploi entre 310 000 et 400 000 emplois selon la méthode d'estimation retenue.
  • aurait réduit la production par tête de 2,5%.
Puisqu’il n’y a pas eu visiblement de moindre progression des salaires réels, et puisque la hausse induite du coût du travail a été prise en charge par des transferts publics (baisse des charges),on parvient à l’évaluation suivante d’un point de vue cyclique : le passage aux 35 heures en France n’a pas réduit la compétitivité, il a crée des emplois, qui ont été financés par le budget.

Il s’agit donc, dans une logique de court terme, d’une politique budgétaire de soutien de l’emploi dans les entreprises, ce qui n’est pas à critiquer en période de croissance faible et de chômage élevé.
Est-ce que ça veut dire que les 35 heures sont forcément une bonne mesure? Evidemment pas. Juger des mérites d'une politique ne se réduit pas, contrairement à une opinion répandue dans ce pays, à savoir si "ça crée de l'emploi" ou non. Si tel était le cas, il serait utile que l'Etat me donne quelques millions d'euros (financés par l'emprunt évidemment, parce que la hausse des impôts est toujours mauvaise et que l'équivalence ricardienne a été abolie par Reagan) chaque année pour développer ce blog, ce qui me permettrait de créer des emplois de graphiste, de documentaliste, de correcteur, de marketeur, de modérateur de commentaires et d'envoyeurs de nominations à AFOE.

La vraie question est de savoir si l'utilisation des fonds publics a été, en l'espèce, optimale. Est-ce qu'il n'y avait pas moyen de faire mieux au même prix ou aussi bien pour moins cher? C'est sur ce point que les 35 heures sont le plus critiquables. Car le dispositif ne s'avère pas être spécialement plus performant que les autres politiques de l'emploi. Je cite Artus et Maillard, encore une fois :
Le coût estimé des allègements de charge d’environ 10 Mds € par an pour le budget pour 400 000 emplois crées représente donc 25 000 € par emploi, ce qui est de l’ordre de grandeur du salaire annuel par tête y compris les charges.

Comme dans le cas des autres modalités d’incitation à l’embauche, le coût budgétaire de la création d’un emploi par la baisse du coût salarial est de l’ordre de grandeur du salaire par tête.
Notons néanmoins que ces 10 milliards d'euros sont un coût brut, et qu'il faudrait se livre à des calculs plus complexes (en prenant en compte, en première analyse, l'effet sur les comptes sociaux ou sur les rentrées fiscales des emplois créés) pour obtenir le coût net. Mais cela n'est pas important quand on compare entre eux des dispositifs d'aide à l'emploi.

Ce qui distingue, par contre, les 35 heures de la plupart des autres dispositifs est que, par définition, cette politique a réduit le temps de travail. Et que l'augmentation du temps libre, quand il est choisi, augmente le bien-être (welfare) national, même si cet effet positif ne se retrouve pas dans le PIB. Mais nous y reviendrons très prochainement.