04 décembre 2004

Test de Rorschach 

Devant les incidents qui avaient émaillé la rencontre, la Cour Suprême a décidé de faire rejouer le match du deuxième tour de la coupe d'Ukraine, le 26 décembre et sur terrain neutre. La révolution orange a atteint son premier objectif, et les bonnes nouvelles du monde ne sont pas si nombreuses pour qu'on ne s'en félicite pas.

Reste une question essentielle : pourquoi orange? A cause de la couleur portée par les militants de Iouchtchenko, certes. Mais pourquoi ce orange a-t-il été choisi? J'ai trouvé une première réponse dans la chronique hebdomadaire de Marie Colment dans Télérama :
De l'Ukraine en 2004, on retiendra cet orange flamboyant. Mais, au fait, pourquoi ce choix ? C'est dans Le Monde que je découvre l'explication : une coutume ukrainienne veut que les jeunes filles qui souhaitent récuser un prétendant au mariage lui offrent une citrouille. En arborant cette couleur citrouille, le peuple ukrainien signifie au candidat du Kremlin qu'il ne souhaite pas convoler avec lui en justes noces.
Je suis évidemment allé fouiller dans les archives du Monde pour retrouver la source de cette assertion qui me semble, de prime abord, un peu suspecte. Voilà donc ce que disait le quotidien du soir, dans un encadré complétant un article paru le 24 novembre :
La contestation en Ukraine a sa couleur : orange. Tout manifestant se doit de la porter. L'idée est apparue une semaine avant les élections et a pris comme une traînée de poudre, presque par hasard. Elle appartient à quelques jeunes banquiers et experts en communication, qui ont voulu visualiser la protestation populaire, rapportait récemment l'AFP. Ils avaient alors acheté du tissu et fait des rubans. "Nous les avons distribués parmi nos amis. Nous ne nous attendions pas que des milliers d'étudiants et même des fonctionnaires se joignent à nous", racontait Maxim Savanevski, un des concepteurs de cette campagne civile. L'orange est associé à une tradition ukrainienne qui veut qu'une jeune fille offre une citrouille à son prétendant pour refuser ses avances. Certains y voient une allégorie du mariage forcé que le président Koutchma voudrait célébrer entre la population et son dauphin, Viktor Ianoukovitch.
Je suis de plus en plus sceptique, vu qu'il me semble bien que la campagne de Iouchtchenko utilisait le orange bien avant la date citée par l'encadré ("une semaine avant l'élection"). Heureusement, je finis par tomber sur la dépêche AFP en question, qui fournit une explication beaucoup plus convaincante (et qui a manifestement été mal interprété par le journaliste du Monde qui a écrit l'encadré) :
All agree Ukraine's opposition supporters are a colorful crowd, but many wonder: Why orange?

"Red -- the color of the communist revolution -- seemed too aggressive. But orange sets a tone for peaceful and constructive change," said Natalia Kukhtina, a psychotherapist involved in the Ukrainian opposition movement.

The choice of orange as the color to symbolize the movement led by Viktor Yushchenko was in fact a conscious decision dating back to 2002 when his liberal movement Our Ukraine used eye-catching orange to decorate legislative election campaign posters.

Two years later, there was little question which color would be used to flavor Yushchenko's presidential campaign.


"We bought material and made ribbons," said Maxim Savanevski, one of the architects of the campaign's public relations drive. "We tied them to subway cars and distributed them among friends a week before the first round of voting on October 31."
L'affaire semble donc réglée : l'orange a été choisi en 2002 par la campagne de Iouchtchenko, qui cherchait une couleur plus djeunz, plus moderne, plus voyante. Une démarche marketing basique, en somme.

Voire. Car, en cherchant bien, on peut trouver encore une autre explication, avancée (mais non-sourcée) par le site Internet du Christian Science Monitor :
Orange was reportedly chosen because it reminded pro-West candidate Viktor Yushchenko of the color of the sun rising over the Carpathian mountains.
Tiens, mon détecteur de légende pieuse s'est mis à sonner bruyamment. A bien y réfléchir, je me demande d'ailleurs si les trois versions ne sont pas toutes fausses. Rappelons-nous en effet que Iouchtchenko avait 20 ans en 1974. Et qui, parmi les jeunes de l'époque, pouvait rester insensible au charme du "football total" que pratiquait l'équipe de Rinus Michels?