21 janvier 2005

Impact du pacte 

Comme à son habitude, Daniel Cohen dit (écrit?) beaucoup de bonnes et justes choses au cours de ce chat avec les lecteurs internautes du Monde, mais sa défense du principe du pacte de stabilité me semble assez peu convaincante :
Je pense tout d'abord qu'un pacte de stabilité budgétaire est indispensable pour bien faire fonctionner une zone monétaire. En l'absence d'un pacte, chaque pays, se sachant protégé par la monnaie commune, serait tenté de faire des déficits financés par les autres pays de la zone. Dans les pays comme l'Argentine, où chaque province peut mener une politique de déficit public indépendante, les crises financières se multiplient. La question n'est donc pas de savoir s'il faut un pacte (à mon avis, il en faut un), la question est : lequel?
La référence à l'Argentine est compréhensible, dans la mesure où il s'agit d'un exemple classique de mauvaise coordination entre pouvoir central "vertueux" et pouvoirs locaux "dépensiers" (en passant, la situation est inverse en France, où les collectivités territoriales ont généralement des budgets équilibrés, grâce au contrôle des chambres régionales des comptes).

Mais, en pratique, il existe une différence de taille entre l'Argentine et les pays de la zone euro : les pays européens empruntent en euro sur les marchés financiers, alors que l'Argentine devait, comme la plupart des pays en développement, emprunter dans une devise étrangère "sûre" (ici, le dollar). C'est l'impossibilité de la dévaluation (à cause du currency board et parce qu'elle aurait augmenté la charge de la dette), même après celle du real en 1998, qui a ouvert la voie vers la crise de l'hiver de 2001-2002, avec les dramatiques conséquences sociales et économiques que l'on connaît (voir un bon résumé de l'enchaînement macroéconomique chez Econoclaste).

De surcroît, et au contraire de ce qui se passe dans des Etats fédéraux comme l'Argentine (pdf), le degré de fédéralisme fiscal est très faible dans l'Union européenne : l'UE ne collecte pas d'impôt en propre et son budget est à peine supérieur à 1% du PIB européen. Le seul risque dans un cadre européen est que la BCE vole au secours, en usant de son pouvoir de création monétaire, d'un Etat incapable d'assurer le service de sa dette. Le résultat serait une hausse brutale de la masse monétaire, donc de l'inflation et des taux d'intérêts, au détriment de l'ensemble de la zone euro. Mais les statuts de la BCE empêchent déjà une telle procédure (article 21.1), comme le note aujourd'hui The Economist :
What, finally, about the worry that inspired the stability pact in the first place: the need to stop profligate euro members running up big deficits at others' expense? Again, one answer is that it is not happening: despite the stability pact's near-demise, European fiscal consolidation has mostly continued. But the bigger point is that financial markets are quite able to exert discipline, even over euro members: witness the credit downgrade suffered by Italy last year. The only rule that is essential is a reaffirmation that neither the European Central Bank nor any other EU body will stand behind a national government's debt—so that if it gets into trouble, the pain will be felt at home, not abroad.
Notons qu'un pays européen incapable d'assurer le service de sa dette publique et confronté à l'inflexibilité de ses créanciers disposerait d'une voie de recours évidente : se tourner vers le FMI, comme l'avait fait le Royaume-Uni en 1976. C'est très déplaisant? Certes. Mais c'est justement le but, et l'une des raisons (avec la pression des pairs et des marchés financiers) pour lesquelles le pacte est superflu, en plus d'être dangereux.