26 janvier 2005

Le syndrome de la cagnotte 

Tu ne le sais peut-être pas, cher lecteur, mais la mafia Publius se concerte, au début de chaque semaine que Dieu fait, pour déterminer quels sujets seront obligatoirement abordés sur (certains de) nos blogs respectifs et, ainsi, donner le ton de la blogosphère francophone.

Cette semaine, il s'agissait : 1. De sonner le rappel des troupes pour le grand combat fratricide qu'est la sélection populaire des récompenses en pyjama de satin de AFOE. 2. D'en remettre une couche sur l'incurie chronique des analyses du Monde en matière juridique et économique, de façon à souligner la supériorité intrinsèque des blogueurs triomphants sur des MSM décrépits.

Comme j'ai déjà discouru sur les récompenses lundi, et que je ne souhaite pas surenchérir à la surenchère versacienne, je m'en vais tenter de justifier le découragement profond qui m'habite depuis que j'ai lu l'éditorial du quotidien vespéral daté du jour.

Voilà le problème : Bercy a annoncé aujourd'hui que le déficit budgétaire ne sera que de 43,9 milliards d'euros pour 2004, contre 56,9 en 2003 et 55 prévus dans la loi de finances initiales. (Au passage, je rappelle qu'on parle ici uniquement du déficit du budget de l'Etat. La barre des 3% du pacte de stabilité concerne le déficit public, c'est-à-dire l'Etat, les administrations de Sécurité sociale et les collectivités territoriales). Sur le plan de la gestion des finances publiques, c'est clairement une bonne nouvelle, dans la mesure où les déficits d'aujourd'hui se paieront de toute façon demain ou après-demain et qu'il n'est pas déraisonnable de cherche à minimiser ledit déficit.

Après, évidemment, on peut chercher à raffiner le raisonnement. Est-ce que les impératifs de la bonne gestion (baisse du déficit) sont compatibles, à court terme, avec une bonne gestion macroéconomique (ne pas accentuer une tendance au ralentissement économique par une hausse des impôts ou une contraction des dépenses)? Est-ce que le moindre déficit de l'Etat ne cache pas un transfert de charges vers les collectivités territoriales? La stagnation des dépenses publiques est-elle la preuve que l'Etat fait mieux, pour moins cher, ou se fait-elle au prix d'une dégradation de la qualité du service rendu et/ou d'un sous-investissement? Autant de questions légitimes qui auraient pu être évoquées dans un éditorial du Monde.

Mais non. Le quotidien du soir préfère, après avoir juré ses grands dieux qu'il s'agissait là d'une "excellente" nouvelle, faire la fine bouche sur un mode très légèrement poujado :
Toutefois, pour les ménages aussi bien que pour les entreprises, ces résultats ont un revers. Si le déficit budgétaire diminue, c'est grâce à un gonflement spectaculaire des rentrées fiscales. Là aussi, nul ne peut contester les chiffres, ni au gouvernement ni dans la majorité. A périmètre constant, le rendement de l'impôt sur le revenu a augmenté, en 2004, de 77 millions d'euros, celui de l'impôt sur les sociétés de 3,9 milliards et celui de la TVA de 7,3 milliards.
Hum, oui. Pour que le déficit budgétaire (nominal) diminue, il faut que les recettes augmentent. Ou que les dépenses baissent. Ou que les deux en même temps. Il serait bien sûr préférable de pouvoir baisser le déficit en baissant les recettes et en augmentant les dépenses, mais il se trouve que l'on n'y arrive pas encore. Mais Le Monde n'en a cure, qui conclut, après quelques ronds dans l'eau :
Pour Jacques Chirac, qui a accepté de retarder, en 2004, la baisse de l'impôt sur le revenu, la nouvelle a donc un côté embarrassant. Si l'on s'en tient aux statistiques rendues publiques mardi, le président de la République peut être accusé de n'avoir, une fois encore, pas tenu ses promesses fiscales.
Et voilà! L'excellente nouvelle, mise au crédit du gouvernement, s'est transformée en 4 paragraphes en une attaque frontale contre Chirac. D'habitude, je n'ai rien contre un pilonnage gratuit du Grand Jacques. Et la critique est d'autant plus aisée que les promesses multiples et contradictoires du locataire du Faubourg Saint Honoré rendent le non-respect des dites promesses aussi chronique qu'inévitable.

Mais là, je suis plutôt désespéré. Si la moindre tentative de gestion budgétaire à peu près passable est sanctionnée dans les médias par des couplets sur l'air du "rendez l'argent" (suite subliminale du "l'argent rentre!" du Monde), on peut attendre encore longtemps une baisse durable du déficit budgétaire. Et l'on peut se préparer à revivre à échéances régulières le pathétique épisode de la "cagnotte", avec les appels inconsidérés à baisser massivement les impôts/augmenter massivement les dépenses au moindre soupçon de croissance qui l'accompagnent. Réjouissante perspective.