24 février 2005

Flat tax 


Quand j'ai écrit ma première note sur le duplex de Gaymard, la semaine dernière, je pensais sincèrement que l'affaire allait connaître le destin réservé à l'immense majorité des révélations du Canard Enchaîné, des dépenses des Ferry rue de Grenelle aux écrans plasma de Sarkozy : une dépêche de l'AFP, un entrefilet dans Le Monde, une réponse vague d'un porte-parole et puis pschit. Wrong again. On s'approche dangereusement du seuil des 13 jours théorisé par Alastair Campbell. Et Gaymard a déjà un score de 1 (ou de deux : je ne me rappelle pas précisément de ces déclarations à "100 minutes pour convaincre") sur l'échelle de Galbraith.

Du coup, certains de mes commentateurs semblent s'étonner de la couverture médiatique qui est désormais donnée à l'affaire (dont la photo AFP ci-dessus ne donne qu'un aperçu). Et de se demander si l'on en fait pas trop. Je m'étonne que les gens s'étonnent. Car le traitement de ce type d'événement par les médias obéit aux lois d'airains du "tipping point : une fois que Le Monde a fait sa une sur le sujet, tout le monde se sent obligé d'en parler, de préférence en allant chercher l'information en plus, qu'un sarkozyste se fera un plaisir de vous apporter sur un plateau.

Il faut dire aussi que la défense de Gaymard est calamiteuse : le coup du pieux mensonge à Paris Match, réfuté par le Canard avant même la publication, est sûrement l'une des bourdes les plus monumentales jamais commises par un ministre en exercice (Bachelot est hors concours). Comme le disent les Américains : "it's not the crime, it's the cover-up".

Voilà certes qui ne nous dit pas ce qu'il faut penser des mérites de l'acte d'accusation (voir l'édito du Monde ou celui de Libé) contre Gaymard. Je reconnais que le prix du loyer ne fait pas un pouillième de différence du point de vue des finances publiques, que l'actuel ministre de l'Economie (cruelle ironie du titre!) n'est pas le seul à s'être livré à des petits arrangements avec l'argent public et qu'il y a, à juger l'affaire sur les faits bruts, des milliers de chats beaucoup plus méritants à aller fouetter. Je reconnais aussi que la leçon de morale de DSK sur France 2, pour délectable qu'elle fût, était pour le moins peu élégante.

Mais, dans les cas difficiles, j'ai une règle de conduite qui m'a plutôt bien servi jusqu'à maintenant : "dans le doute, pense le contraire de ce que Slama pense". Chez Pascale Clark, hier soir, Slama a parlé de la "chasse à l'homme" à laquelle se livrerait la presse, de l'honneur bafoué d'un homme et de l'exorbitant pouvoir des médias. Et de nous faire le coup du liberal bias ("jamais la presse n'aurait traité un homme politique de gauche de cette façon"), avant, quelques minutes plus tard et sans voir la contradiction, de faire le parallèle avec le discours de Mitterrand sur les "chiens" après le suicide de Bérégovoy.Je pense donc que la presse a raison d'en parler autant. Car (désolé d'enfoncer des portes ouvertes) il est indéniable que l'attitude de Gaymard est moralement condamnable, à défaut d'être juridiquement répréhensible (l'esprit de la circulaire, sinon sa lettre, a clairement été violée, mais une circulaire n'est de toute façon pas généralement un texte normatif). Et que ses excuses subséquentes, qui étaient beaucoup plus une façon de se défausser que d'assumer sa part de responsabilité, aggravent encore davantage son cas.

Est-il injuste que Gaymard se trouve seul au banc des accusés? En un sens, oui. Mais est-ce une raison pour ne pas s'indigner de pratiques qui sont depuis longtemps bannies à l'étranger? Non. Et l'affaire est justement l'occasion de mettre un peu d'ordre dans les procédures applicables aux logements des ministres (même si je préférerais un système à l'allemande, quitte à augmenter les salaires pour cela) et d'évoluer un peu plus vers une conception moins patrimoniale de la politique. Comme l'écrit justement Alain Hertoghe : "une harmonisation européenne de la morale publique ferait un bien fou aux élites de la République."

Reste la question la plus délicate de toutes : faut-il que Gaymard démissionne? Moralement, je ne vois pas d'inconvénient décisif à ce qu'il reste à son poste, à supposer qu'il crève vraiment l'abcès lors de sa prochaine intervention.

Politiquement, c'est une autre histoire : c'est au premier ministre (donc à Chirac) de décider si la valeur ajoutée de Gaymard par rapport à un possible remplaçant excède la perte d'autorité qu'il a subie à la suite de cette affaire. Et je ne doute pas qu'il prendra cette décision en ayant uniquement en tête les intérêts supérieurs de la nation.