21 février 2005

"Florida an der Förde" 

Puisque que tout le monde parle de la (sans suprise) victoire du oui en Espagne ou du triomphe (attendu) du PS au Portugal, arrêtons-nous un moment sur les passionnantes élections d'hier dans le Land allemand du Schleswig-Holstein.



Bienvenue dans le grand nord allemand, ses îles, ses fjords, sa frontière avec le Danemark et son port de Kiel, capitale du Land. Et sa gauche au pouvoir, depuis 1988, avec une gouvernement de coalition rouge-vert (rot-grün). Vert comme les Grünen, rouge pour le SPD, le parti social-démocrate du chancellier Schröder (qui n'est plus à la tête du parti depuis l'année dernière, ayant laissé sa place à un homme d'appareil, Franz Müntefering).

Dire que les élections dans les Länder ont peu réussi dernièrement aux sociaux-démocrates allemands serait un euphémisme : le SPD a connu déroute sur déroute dans les consultations locales depuis quelques années. Conséquence de l'impopularité du gouvernement Schröder, plombé par des réformes économiques radicales qui passent plus que mal auprès de l'opinion. Pourtant, la semaine dernière, les sondages plaçaient la coalition SPD-Grünen en tête dans le Schleswig-Holstein. En partie parce que les sociaux démocrates sont bien implantés dans la région : en 2000, il l'avaient emporté avec 43% contre 35% à la CDU . Mais aussi parce que le SPD s'est, contre toute attente, redressé au cours des derniers mois : l'obstination du chancellier à réformer semble lui avoir acquis la sympathie d'un électorat centriste qui s'est détourné d'une CDU encore une fois affectée par la guerre des chefs et par les scandales. On s'attendait donc à une courte mais claire victoire de la majorité sortante, dirigée par la Ministerpräsidentin (présidente du Land) Heide Simonis.

Patatras! A dix-huit heures, les télévisions annoncent la victoire de la coalition CDU-FDP (libéraux, traditionnellement alliés de la droite). Les commentateurs commencent à parler de séisme électoral : la CDU a gagné 5 points par rapport à 2000, le SPD s'effondre de 5. Les Verts, qui avaient toujours progressé lors des dernières élections locales, font du surplace : le récent scandale des visas dans lequel Joschka Fisher est impliqué semble avoir pesé lourd et, in fine, coûté la majorité à la gauche. Le candidat de la CDU, Peter Harry Carstensen, jubile : une coalition noire-jaune (CDU-FDP) va diriger la région, après 17 ans passés dans l'opposition.

Et puis, à mesure que la soirée progresse, les prévisions s'affinent, et l'avance de la droite au Landtag (assemblée du Land : en allemand, il suffit généralement de rajouter -tag derrière une structure politique pour désigner son assemblée cf Bundestag, Kreistag ou Parteitag) devient de plus en plus mince. Au siège de la CDU, on essaye de reboucher les bouteilles de Sekt. Dans les rédactions, on ressort des termes qui n'avaient plus servi, en matière électorale, depuis les législatives de septembre 2002 : spannend (palpitant), Zitterpartie (suspense) ou Walhkrimi (polar électoral). Un journaliste blogueur rapporte que certains observateurs sur place évoquent, de façon quelque peu exagéré, un Florida an der Förde, le Förde étant le fjord au fond duquel est situé la ville-capitale de Kiel.

Peu avant minuit, enfin, les résultats définitifs tombent : 33 sièges pour la gauche, 34 pour la droite, pour un total de 69 députés. Il manque deux sièges : ils appartiennent au petit Südschleswigschen Wählerverband, le parti de la minorité danoise (et frisonne). Le SSW avait annoncé par avance qu'il soutiendrait le gouvernement SPD-Grünen, permettant ainsi à Heide Simonis de sauver, sur le fil, sa tête.


Source : Frankfurter Allgemeine Zeitung

L'ironie de l'histoire est que le SSW n'a même pas franchi la barre des 5% des suffrages en principe nécessaires pour obtenir des représentants au parlement. Mais la constitution du Schleswig-Holstein, dans un souci de protection des minorités, prévoit que le "parti de la minorité danoise" ne pas soit soumis à cette règle. Détail qui sauve le SPD d'une grave crise interne et prive la CDU d'une victoire de prestige. Certes, comme le note Die Zeit, cette élection est tout sauf une victoire pour le SPD, qui obtient son plus mauvais score en 40 ans dans le Schleswig-Holstein.

Mais, ce matin, ce sont Schröder, Müntefering et Simonis qui rigolent. Jusqu'au prochain rebondissement? Le SSW semble en effet aujourd'hui chercher à faire monter les enchères. Le président du FDP Guido Westerwelle et un haut responsable de la CDU ont demandé un recomptage des voix. Le "Florida an der Förde" n'était peut-être pas si exagéré.