13 février 2005

Non, rien de rien? 

Comme tout le monde le sait, Madelin, Longet, Devedjian, Raoult, Goasgen et beaucoup d'autres (Frédéric de Saint-Sernin! François d'Orcival!) ont été, dans leur jeunesse, membres de groupuscules d'extrême droite. Des vrais de vrais, avec méthodes et slogans de brutes épaisses. Barres de fer et têtes de bois, en quelque sorte. C'est mal. D'autant plus qu'Occident, où Madelin et Devedjian ont commencé leur carrière, cultivait une idéologie délirante, qui allait bien au-delà de l'anti-communisme primaire et musclé :
Le programme prévoit de bannir le "suffrage universel", mais aussi de combattre "les ennemis de l'intérieur", à savoir "les puissances financières", la franc-maçonnerie ou les "métèques".
C'est abject. Pas étonnant que les "anciens", interrogés par Le Monde pour la sortie d'un ouvrage sur la "Génération Occident", se la jouent plutôt agacés et évasifs (notons que d'autres anonymes anciens n'hésitent à clamer, sur la toile, leur fierté d'en avoir été).

Reste une question : les engagements de jeunesse de Madelin ou Devedjian doivent-ils, d'une façon ou d'une autre, peser contre eux aujourd'hui, politiquement ou moralement?

Réponse simple : non. Pour trois raisons :
  • Madelin, Devedjian, Longuet et les autres doivent être combattus pour leurs idées et leurs actions politiques d'aujourd'hui, pas pour des errements qui datent de quatre décennies.
  • De nombreux hommes politiques de gauche ont un passé d'extrême-gauche, chez les maos ou les trotskos : Jospin, Dray, Weber, Cambadélis par exemple. On peut soutenir (j'aurai tendance à le faire, en toute subjectivité) que ces parcours sont moins condamnables que ceux des anciens d'Occident. Mais Mitterand a eu des engagements de jeunesse beaucoup plus douteux, des défilés avec les Croix de feux jusqu'à Vichy et la francisque. Sans parler du cas encore plus problématique de tous les membres du PCF qui sont restés des défenseurs acharnés du régime soviétique, même après Kravchenko, même après Budapest, même après Prague, même après Soljenitsyne.
  • Plus généralement, et en débordant le simple cas des politiques, l'un des fondements de la philosophie politique de gauche est la reconnaissance du droit à l'erreur (encore plus du droit aux erreurs de jeunesse), et la possibilité d'une éventuelle réintégration dans la société, quelque soit la gravité et l'horreur des actes commis dans le passé. La gauche s'oppose à la peine de mort, à une perpétuité certaine et défend (à juste titre) le droit des plus grands criminels à finir leur vie ailleurs que dans une cellule. Elle aurait bien du mal à dénier à Madelin le droit à tourner la page qu'elle reconnaît (de manière contestable) à Battisti.
Réponse plus complexe : ça dépend. A tout le moins, il me semble, on attend de ceux qui ont appartenus à des mouvements extrémistes deux choses. D'abord, qu'ils aient effectivement renoncé à leurs anciennes idées : sur ce point, et quoi qu'on pense de leurs positions actuelles, il ne fait guère de doute que les Madelin et Devedjian ont abandonné le programme d'Occident, tout comme l'action politique de Jospin au gouvernement ne semblait pas franchement suivre au plus près la ligne de l'OCI.

Ensuite, et de manière plus difficile à juger, qu'ils admettent que leur engagement était une erreur, ou au moins qu'ils ont naïvement cautionné une idéologie ou des actes criminels. La moindre des choses pour un ancien mao est de reconnaître les crimes effroyables du régime maoïste (il est proprement scandaleux qu'Alain Badiou, comme le rapporte Phersu, soit incapable de condamner clairement le régime Khmer Rouge). Pour les anciens d'Occident, que la lutte anti-communiste ne saurait justifier les appels au meutre, le soutien à la colonisation, l'antisémitisme larvé.

C'est à cet égard que les propos des "anciens" interrogés par Le Monde sont problématiques. Sans qu'il soit très facile de tracer une ligne de démarcation évidente entre contrition acceptable ou pas. La douche écossaise de Devedjian ("Je me suis totalement trompé et je l'assume, mais je n'ai cautionné aucun crime.") est-elle suffisante, surtout quand on sait que le même a fait de la prison suite à l'attaque de la cafétéria de l'université de Rouen en 1967? Les déclarations de Gérard Longuet ("J'assume avoir été d'extrême droite. On s'est simplement trompés sur le modèle colonial, qui ne pouvait perdurer.") sont-elles inacceptables (que veut dire ce "simplement"? qu'ils avaient raison sur tout le reste, de l'abolition du suffrage universel au "tuez tous les communistes")? [Tant qu'on y est, à une échelle évidemment différente : dois-je moi aussi faire repentance pour avoir -certainement- crié "morts aux fachos" dans des manifs?]

Difficile à dire, surtout sans prendre la mesure exacte du contexte de l'époque (le camp d'en face ne comptait pas que des enfants de choeur) et du rôle des divers participants. Et encore plus de déterminer si le modèle médiatique et politique français, qui pardonne assez facilement les écarts antérieurs et répugne à aller fouiller les poubelles du passé, est préférable à un modèle américain qui permet de déboulonner des personnalités convaincues de nostalgies coupables (cf Trent Lott) mais peut rapidement tourner à la chasse aux sorcières.