14 mars 2005
Que faire quand tous les pontes
D'abord, remarquer ingénument qu'il est peu probable que la décision de justice en question aurait été aussi abondamment évoquée si elle n'offrait aussi l'occasion d'afficher, à titre informatif cela va de soit, l'image d'une cène aux participants courtement vêtus. Ensuite, bien entendu, réagir sur un point complètement mineur qui a été (forcément) insuffisamment relevé. Enfin, prendre le contre-pied de tout le monde, pour essayer de récupérer la clientèle papiste qui ne peut plus faire un clic sans être confrontée à une image dont l'exposition est, selon la décision du trbunal de grande instance, "un acte d'intrusion agressive et gratuite dans les tréfonds des croyances intimes".
L'objet de ma perplexité est cette phrase du compte-rendu de Libération de samedi dernier :
Ce 25 février, l'association répondant à l'oxymoron Croyances et Libertés assigne, en référé, devant le tribunal de grande instance de Paris, les créateurs de mode Marithé et François Girbaud et l'agence de pub Air Paris pour «injure visant un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion déterminée, en l'occurrence le catholicisme».Suis-je le seul à être au moins troublé par l'emploi du terme "oxymoron"? Pas parce que le mot serait un vilain anglicisme, comme le soutient Eolas : en fait, oxymoron est un terme parfaitement usuel en français, même si les non-hellénistes dont je suis peuvent lui préférer le plus gallophone oxymore. Mais bien en raison de ce que l'emploi de ce terme implique et veut dire. Qu'est-ce, en effet, qu'un oxymoron/oxymore? Le Robert le définit comme une "figure qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires pour leur donner plus de force expressive".
Donc, selon la journaliste de Libé, les termes "croyance" et "libertés" sont "contradictoires". Et c'est problématique.
D'une part, on se demande bien ce que cette remarque en forme de clin d'oeil à un lectorat majoritairement laïcard vient faire dans un article d'information brute. Je sais que Libé ne s'est jamais vraiment coulé dans le moule anglo-saxon de la séparation entre le fait et le commentaire (cette position peut d'ailleurs se défendre), mais il y a certainement des limites, non?
D'autre part, la pertinence de la qualification est difficilement défendable. Que "nazisme et dialogue" (pour reprendre une parodie célèbre de Jalons) soit un oxymore ne fait pas de doute. Que "giscardisme et modernité" puisse l'être est probable (et d'autant plus en 2005 qu'en 1974). Mais "croyance et libertés"? Dont-on en conclure que seuls les athées sont susceptibles d'être vraiment libres? Que tous les croyants abdiquent forcément leur liberté par le seul fait de pratiquer leur foi? Ou que la "liberté de croyance", qui me semblait pourtant être au fondement de nos sociétés occidentales, est un non-sens?
Qu'on ne se méprenne pas : je suis atterré par le jugement en cause, et je suis tout près à admettre que l'association plaignante est une officine réactionnaire qui se gargarise de "libertés" tout en cherchant à les dénier aux autres. Mais cela ne justifie pas que Libé se laisser aller à une remarque qui, pour le coup, est véritablement "agressive et gratuite".
NB : le nom de l'association est en fait "Croyance et libertés" et non pas, comme l'écrit Libé dans l'article incriminé, "Croyances et libertés". Je ne sais pas si cela change grand chose, mais j'ai rectifié la note en conséquence.
Add. : Guillaume Barry, qui parlait de l'affaire avant tout le monde (la note de Paxatagore déjà citée offre un utile tour d'horizon des réactions), avait aussi noté l'emploi excessif de cet "oxymoron".
Mis en ligne par Emmanuel à 21:18 | Lien permanent |