04 juillet 2005

On reconnaît un arbre à ses fruits 

Il était donc logique que Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France (et membre à ce titre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne), obtienne la noix d'honneur pour ses déclarations devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale :
Lors d'une intervention devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le 29 juin, M. Noyer a jugé «possible» pour un pays de renoncer à l'euro pour retrouver sa devise nationale. «La sortie d'un Etat de la zone euro est possible puisque les Etats sont souverains», a-t-il déclaré, selon une transcription de ses propos publiée lundi par l'Assemblée nationale.

Toutefois, a ajouté à cette occasion le gouverneur de la Banque de France, «une telle démarche poserait la question de la possibilité du maintien de l'Etat concerné dans l'Union européenne».
Déclarations -malheureusement non disponibles sur le site de l'Assemblée- qui ont bien entendu acceléré la chute de l'euro contre le dollar et sacrément brouillé le message de la BCE, qui protestait jusqu'à présent de la futilité de faire des commentaires sur l'hypothèse "absurde" qu'un Etat puisse décider d'abandonner l'euro ("this is complete nonsense" disait Trichet lors de la dernière conférence de presse).

Alors qu'il n'est même pas sûr que Christian Noyer ait raison sur un plan juridique : la possibilité d'une sortie unilatérale d'un Etat de la zone euro et, a fortiori, de l'Union européenne est un point qui fait débat parmi les juristes. La constitution européenne aurait tranché la question, mais force est de constater que le débat reste insoluble en l'état actuel des choses.

Ce qui rend les déclarations de Noyer encore plus étranges est le fait qu'il disait exactement le contraire il y a exactement un mois :
Qualifiant d'"hypothèse absurde" l'idée d'un abandon temporaire de l'euro suggérée vendredi par le ministre italien des Affaires sociales Roberto Maroni, Christian Noyer précise que "l'euro nous a apporté des avantages considérables": "plus de crise de change, plus de dévaluation dans la douleur, de "dévaluations compétitives" et "plus d'attaque spéculative sur les marchés financiers".
On sait par ailleurs que les banquiers centraux sont des experts quasiment imbattables en termes de langue de bois et qu'il est rarissime (si l'on excepte le cas particulier de Wim Duisenberg) qu'ils se laissent entraîner à des gaffes verbales en public. Même sous le questionnement qu'on imagine hargneux d'une commission parlementaire présidée par le redoutable Edouard Balladur, évidemment soucieux de faire passer un moment difficile à un banquier central qui fût, entre 1986 et 1988, membre de son cabinet à Bercy.

Il faut aussi noter que la presse s'était fait état dernièrement des dissensions au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE au sujet de la politique monétaire. On peut alors se demander si la sortie en apparence désastreuse de Noyer ne fait pas partie d'une stratégie réflechie : les colombes de la BCE, constatant l'impossibilité d'obtenir un accord sur une baisse des taux, chercheraient ainsi à faire baisser l'euro, de façon à rétablir quelque peu la compétitivité-prix des exportateurs européens. Tout cela n'est évidemment que spéculation de ma part, mais je vois mal comment expliquer les propos du gouverneur de la Banque de France autrement.

Au-delà des mérites et de la faisabilité d'une telle stratégie (on voit mal comment la tendance de long-terme à la baisse du dollar pourrait être durablement enrayée), il sera en tout cas intéressant de voir comment les faucons de la BCE vont réagir. Ce qui permettra aussi de savoir si cette "noix d'honneur" était méritée ou non.