01 août 2005
Il reste encore plus d'un mois et demi de campagne avant les élections législatives allemandes (à supposer que le Tribunal constitutionnel n'invalide pas la "dissolution"), mais deux choses semblent déjà quasiment acquises : la CDU-CSU sera le premier parti au Bundestag, et Angela Merkel la prochaine Kanzlerin.
Le dernier sondage donne 42% des voix au parti chrétien-démocrate, alors que les sociaux-démocrates se traînent avec 26% des intentions de vote. On voit mal comment Schröder et ses troupes pourraient combler un tel écart : le chancellier était certes parvenu à l'emporter au finish en 2002, mais le retard du SPD était beaucoup moins important à l'époque et il avait su tirer parti d'une conjoncture exceptionnelle. Et rien à l'horizon ne semble pouvoir jouer le rôle politique qu'avaient joué lors de la dernière élection les inondations en Allemagne de l'est et les prodromes de l'intervention américaine en Irak.
Est-ce à dire que ces élections seront chiantes comme la pluie qui avait permis à Schröder de triompher il y a 3 ans? Non pas. Parce que le nombre de sièges de députés au Bundestag est attribué à la proportionnelle* et qu'il serait surprenant que la CDU-CSU obtienne une majorité à elle seule. D'où la nécessité d'une alliance et c'est là que les choses se compliquent. Historiquement, les chrétiens-démocrates ont gouverné avec les libéraux-démocrates du FDP. Mais le FDP est en perte de vitesse depuis plusieurs années et il n'est pas du tout certain qu'un gouvernement noir-jaune (CDU-FDP) puisse compter sur une majorité pour le soutenir à la chambre. Le derniers sondage donnent la droite à 50% et les partis de gauche (SPD, Grünen, et les radicaux-altermondialistes du Linkspartei) à 47%. Il suffirait donc d'une légère baisse des partis de droite pour que la gauche se retrouve majoritaire à l'assemblée.
Ce qui ne se traduirait certainement pas par un gouvernement de gauche rouge-plus rouge-vert (SPD, Linkspartei, Grünen), dans la mesure où tant les sociaux-démocrates que les représentants du parti de gauche ont exclu de faire alliance. La CDU devrait donc chercher d'autres partenaires au cas où l'appoint du FDP se revelerait insuffisant. Et une telle quête sera difficile, comme le note The Economist dans un article qui évoque la possibilité d'une grande coalition SPD-CDU :
All this would depend on somebody, presumably the CDU's Angela Merkel, actually being able to form a grand coalition. But a battered SPD under a new leader, perhaps its chairman, Franz Müntefering, would surely feel resentful of the CDU, not least for having blocked much of the present SPD-led government's plans in the upper house, or Bundesrat. If the SPD prefers opposition, creating any workable government may be hard. In theory a CDU-FDP-Green coalition is possible, but the culture clash between the parties makes it unlikely. Nobody wants to ally with the Left Party.The Economist en conclut qu'une grande coalition serait alors inévitable, et j'ai tendance à d'être d'accord, d'autant plus qu'un important responsable de la CDU a fait savoir ce week-end qu'une telle perspective n'était pas "nécessairement exclue". Le magazine britannique insiste aussi sur le fait qu'un gouvernement CDU-SPD serait certainement une mauvaise solutions et je crains qu'ils aient également raison sur ce point : la perspective d'un gouvernement d'union nationale, où les hommes politiques de bonne volonté passeraient outre leurs différences partisanes dans le seul but de redresser le pays, est l'un des grands fantasmes des modérés, et pas seulement en Allemagne. Mais, trop souvent, une telle solution ne parvient qu'à installer la paralysie au sommet de l'Etat et à donner un coup de pouce providentiel aux extrêmes, trop contents de pouvoir dénoncer depuis les tribunes la colusion des élites, le règne de la pensée unique et la trahison de ceux qui préfèrent s'allier à leurs adversaires plutôt que de perdre le pouvoir.
Ce qui fait que je regarde la campagne allemande avec un certains embarras : le coeur souhaite que la victoire de la CDU soit la moins large possible et que la gauche de gouvernement (en particulier les Grünen) ne soit pas laminée; la tête penche pour une Allemagne gouvernable, et donc, sauf inversion soudaine et radicale de la dynamique électorale, pour un gouvernement CDU-FDP. Encore heureux que je n'ai pas à réconcilier les deux dans l'isoloir.
* On entend souvent dire que le système allemand est un mélange entre scrutin proportionnel et scrutin majoritaire. C'est partiellement faux : le nombre de députés attribués à chaque parti relève du scrutin proportionnel - hors le cas assez complexe mais très amusant des Überhangmandaten. C'est seulement pour l'identité des députés que le scrutin majoritaire entre en ligne de compte.
Mis en ligne par Emmanuel à 22:56 | Lien permanent |