16 août 2005

Au nom du père 

Vincent Vega: [Y]ou know what the funniest thing about Europe is?
Jules Winnfield: What?
Vincent Vega: It's the little differences. I mean they got the same shit over there that they got here, but it's just, just there it's a little different.

Pulp Fiction, 1994
D'où l'immense intérêt des impressions de voyage (ici et ) de Matthew Yglesias qui est allé chercher la fraîcheur estivale en Islande, le pays des geysers et des bières à 10 dollars. Dernier élément qui me fait quand même sérieusement reconsidérer mon vieux projet d'aller faire un tour à Reykjavik, et qui contribue à encore plus me faire sentir les charmes du Portugal et de ses demis de Superbock à 0,80€. Mais je m'égare. Matt était donc hier de sortie dans un cinéma reykjavikien pour aller voire une bonne daube holywoodienne et le choc des cultures s'est fait sentir dès le générique :
[M]any in the [theatre] laughed out loud when Scarlett Johansson's name showed up on screen because in the Icelandic system that's a man's name and she's not a man.
Comme chacun le sait, en effet, les Islandais n'utilisent pas le système prénom - nom de famille, mais généralement le système patronymique : le prénom est suivi du prénom du père (plus rarement, de la mère) + une terminaison en fils (-son) ou fille (-dóttir). Ainsi, le premier ministre islandais actuel s'appelle Halldór Ásgrímsson, c'est-à-dire Halldór, fils de Ásgrím. Sa fille s'appellera (s'appelle) X Halldórsdóttir et son fils Y Halldórsson.

L'article de Wikipedia note que ce système (gravé dans le marbre du droit civil islandais même si l'emploi d'un nombre limité de noms de famille est autorisé) produit des conséquences amusantes :
  • on n'utilise jamais le patronyme seul : les Islandais appellent leur premier ministre Halldór ou Halldór Ásgrímsson, mais jamais Ásgrímsson. C'est la même chose pour Björk, qui est bien le prénom de de Björk Guðmundsdóttir.
  • l'ordre alphabétique dans les annuaires téléphoniques est celui des prénoms.
  • un père, une mère, leur fils et leur fille porteront presque toujours des patronymes différents.
Inutile de préciser que ces conventions ont tendance à fortement déconcerter les non-Islandais : Wikipedia fait ainsi état -certes au conditionnel- d'incidents lors de passage à la douane à l'étranger, des parents islandais étant suspectés de kidnapping parce que leurs enfants ne portaient pas le même "nom de famille" qu'eux.

Evidemment, et pour reprendre le thème de la note de Matthew, fils de Rafael, on peut se demander si le système patronymique est soluble dans les échanges culturels et économiques. Après tout, il était aussi utilisé dans les pays scandinaves (Danemark, Suède et Norvège) avant d'être remplacés par le système occidental du nom de famille, ce qui semble accréditer la thèse selon laquelle sa survie en Islande est due à l'isolement géographique et à la petite taille de sa population.

Une telle tradition pourra-t-elle résister longtemps à l'heure de la mondialisation et d'Internet? C'est bien possible : le Danemark vient de modifier sa législation pour autoriser à nouveau l'emploi du système patronymique à partir de 2006. Et, comme le rappelle Time, ce changement notable est à la fois permis par le progrès technologique (l'informatique rend l'emploi de nom de famille moins nécessaire qu'auparavant pour identifier les individus) et encouragé par une réaction culturaliste face à une mondialisation perçue comme uniformisatrice. Voilà qui devrait plonger Tom Friedman dans un abîme de plerplexité.