09 septembre 2005
[Parfois, on écrit des notes qu'on ne publie pas tout de suite. Parce qu'il reste deux ou trois détails à fignoler et parce que l'actualité bouleverse l'ordre des priorités. Comme je ne me vois pas faire une énième note sur Katrina -voir à ce sujet la réaction mesurée de Versac- et comme le temps me manque aujourd'hui, je me permets de publier, enfin, le billet ci-dessous sur l'affaire Plame et le profil idéologique de Dick Cheney.]
Je doute que cela intéresse Madame Picot (qui recherchait un résumé des derniers épisodes) mais pour ceux qui souhaiteraient avoir une vision d'ensemble de l'affaire Plame, la très longue enquête parue il y a deux semaines dans le Los Angeles Times (enregistrement préalable nécessaire; comme d'habitude, Bugmenot est ton ami) est ce qui se fait de mieux dans le genre. L'article ne contient pas de révélation spectaculaire mais il permet de donner une cohérence à l'ensemble des informations connues et de combler quelques vides dans la chronologie des mois de juin et juillet 2003.
Au passage, les auteurs insistent justement sur la formation idéologique de Dick Cheney, qui explique beaucoup de choses à propos du rôle fondamental du vice-président dans la promotion de la guerre en Irak :
An ingrained antipathy toward the CIA may help explain the hostile reaction to Wilson's public claim that he and others had debunked the reported Iraqi interest in uranium from Niger.Pendant la campagne présidentielle de 2000 et avant le 11 septembre, Dick Cheney avait souvent été considéré comme le politicien prudent et expérimenté qui allait servir de mentor à un George Bush aussi peu au fait du fonctionnement de Washington qu'inhabitué à l'exercice du pouvoir (le poste de gouverneur du Texas est plus proche de celui du président de l'Allemagne fédérale que du président tout puissant à la française). Après avoir rappelé la réputation de modéré de l'alors PDG d'Halliburton ("One of Mr Cheney’s advantages is that he seems to be no slash-and-burn Republican, no Newt Gingrich"), The Economist s'inquiétait même, dans un article du 27 juillet 2000, de la molesse potentielle du candidat à la vice-présidence à propos des questions de politique étrangère :
That skepticism was validated for Cheney and Libby by more than a decade of CIA blunders they had observed from their days at the Pentagon.
"It's part of the warp and woof and fabric of DOD not to like the intelligence community," said Larry Wilkerson, a 31-year military veteran who was former Secretary of State Colin L. Powell's chief of staff.
When Hussein invaded Kuwait in August 1990, Cheney was secretary of Defense and Libby was a deputy to Paul D. Wolfowitz, then undersecretary of Defense for policy.
After the 1991 Persian Gulf War, U.N. inspectors discovered that Hussein had far greater capabilities in chemical, biological and nuclear weapons than the CIA had estimated.
For Cheney and Libby, this experience shaped their skepticism about the CIA and carried over to preparations for the war in Iraq, said a person who spoke with Libby about it years later.
"Libby's basic view of the world is that the CIA has blown it over and over again," said the source, who declined to be identified because he had spoken with Libby on a confidential basis. "Libby and Cheney were [angry] that we had not been prepared for the potential in the first Gulf War."
Mr Cheney’s prudence and rather mainstream hawkishness may not be enough. Especially when dealing with new strategic threats, America may need a vice-president who can stand up and shove Mr Bush in one direction or another—and it is not clear that Mr Cheney would do that. This is one area where you might want the vice-president to bark more forcefully.Difficile de relire ses phrases sans un sourire en coin. Surtout que l'explication habituelle ("9/11 changed everything") ne tient pas concernant l'orientation idéologique de Dick Cheney. Car son passage dans l'administration Bush 41, en tant que ministre de la Défense, ne lui a pas seulement laissé une haine tenace envers la CIA. Il avait aussi, au cours de ses premières années de l'après-Guerre froide, développé avec ses conseillers (notamment un certain Paul Wolfowitz) une stratégie de politique étrangère qui le place fermement dans le camp des néo-conservateurs : exportation de la démocratie comme garant de la sécurité américaine à long terme, utilisation si nécessaire de moyens militaires pour y parvenir et recours à des mesures préventives pour empêcher l'émergence de rivaux des Etats-Unis sur la scène internationale.
Ainsi, comme le démontraient remarquablement Franklin Foer et Spencer Ackerman dans un article publié en novembre 2003, Dick Cheney, loin d'être le cynique pur et dur que dépeint fréquemment la presse, est avant tout un néoconservateur convaincu, depuis le début des années 1990. Son aveuglement idéologique est l'un des premiers responsables du désastre effroyable qu'est devenue l'aventure irakienne. Il a aussi beaucoup contribué, ainsi que le rappelle le Los Angeles Times, à susciter le climat qui a permis et justifé "l'outing" de la femme de Joe Wilson. Il serait pour le moins ironique, au sens morissettien du terme, que les conséquences politiques de l'affaire Plame puissent un jour lui profiter.
N'oublions pas, en effet, que le vice-président est, par définition, le premier sur la liste des successeurs d'un président qui ne termine pas son mandat. A ceux qui n'attendent que la démission ou la condamnation parlementaire de George Bush, j'aurais presque envie de répondre : be careful what you wish for.
Mis en ligne par Emmanuel à 19:16 | Lien permanent |