29 septembre 2005

A feature, not a bug 

Je suis peut-être un peu parano (ou conditionné par le suivi des coups tordus de la politique américaine), mais j'ai l'impression que tout le monde ou presque se méprend sur les véritables intentions du Garde des Sceaux.

Toutes les analyses médiatiques et blogosphériques partent du principe que Pascal Clément veut réellement mettre en place de façon rétroactive l'obligation du port du bracelet électronique pour les délinquants sexuels et qu'il est prêt à tout pour éviter un passage par la case Conseil constitutionnel. A tout, même à reconnaître publiquement que les risques d'inconstitutionnalité sont effectivement manifestes (avant d'affirmer le contraire le lendemain) et à menacer tout aussi publiquement les parlementaires pour les dissuader de saisir le Conseil. En s'asseyant à la fois sur un principe constitutionnel plutôt fondamental et sur tous les usages de la vie parlementaire. Usages qui n'interdisent certes pas l'absence de saisine pour faire passer une loi populaire bien que certainement inconstitutionnelle mais commandent en tout cas une certaine discrétion quand il s'agit de le faire.

Le problème, maintes fois remarqué par les commentateurs, est que la loi promulguée n'aurait de toute façon quasiment aucune chance d'être applicable, faute de pouvoir être compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme. Quel intérêt alors à s'acharner pour éviter le passage par la rue Cambon Montpensier? [fb, un point]

C'est la raison pour laquelle je me demande si ce n'est pas l'objectif inverse qui est poursuivi. La stratégie serait la suivante : d'abord, proposer une loi délibérément inconstitutionnelle, jouer au jeu du "t'es pas cap de saisir le Conseil" avec les parlementaires socialistes, voir ces derniers se draper dans la défense de la constitution et déposer une jolie lettre rue Cambon Montpensier [fb, deux points], assister sans surprise au retoquage des dispositions contestées par le juge constitutionnel; s'étonner ensuite innocemment de ce que les parlementaires de gauche préfèrent défendre les violeurs plutôt que les victimes; et attendre patiemment que les inévitables récidives se produisent pour rejetter la responsabilité du crime sur l'opposition. Et ceci d'autant bruyamment et fréquemment que la présidentielle de 2007 s'approche.

Le plan est d'autant plus vicieux que les parlementaires socialistes se retrouvent confrontés à une situation qui est à la basse politique ce que la fourchette est aux échecs : qu'ils décident de ne pas saisir le Conseil constitutionnel, en espérant légitimement que le contrôle de conventionnalité vide par la suite la loi de sa substance rétroactive, et leur électorat crie à la couardise et à la trahison; qu'ils le fassent, et ils donnent à la majorité une arme de choix pour leur refaire le coup de 2002 sur l'insécurité. Il n'y a pas moyen, pour eux, de se tirer sans dommages de ce genre de traquenard.

On a beaucoup dit, et à raison, que les déclarations du Garde des sceaux étaient, juridiquement, d'une rare stupidité. Je crains que, politiquement, elles ne frôlent au contraire le génie.