21 septembre 2005

Le consommateur français s'américanise, l'économiste non 

Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait :
Selon les chiffres communiqués mercredi par l'Insee, la consommation des ménages en produits manufacturés a augmenté de 1,2% en juillet et de 1,9% en août. La hausse de juin a été révisée à +1,5% au lieu de +0,5%. La progression annuelle est de 5,7% en août.
Première réaction : whaou. Seconde réaction : la France doit être le seul pays du monde où les vacances des statisticiens nationaux les forcent à annoncer deux mois de données d'un coup. Troisième réaction : les chiffres ne sont pas corrigés de l'inflation [bien sûr que si : voir correction au bas de la note], ce qui veut dire que la progression annuelle surestime d'environ 2% la croissance de la consommation. Le chiffre de 3,5%-4% reste néanmoins assez impressionnant au vu de la morosité des ménages. A moins que ce soit justement ladite morosité qui les pousse à consommer...

Ce qui est aussi très intéressant, et symptomatique, est la réaction des économistes français à ce genre de chiffres. Nous serions aux Etats-Unis, la nouvelle serait vu comme la preuve d'un d'optimisme à l'égard de l'avenir qui démontre la fôrmidable vitalité de l'économie américaine. Et qu'importe la bulle immobilière, ou l'endettement des ménages, ou le niveau anormalement bas du taux d'épargne, ou le fait que les salaires ont stagné depuis 2001. Rien de tel, évidemment, en France :
  • Marc Touati (Natexis Banque populaires) : "ces chiffres exceptionnellement vigoureux dans un contexte de faiblesse du pouvoir d'achat confirment en fait que la consommation reste fragile, dans la mesure où elle s'explique principalement par un recours massif au crédit"; "les situations de surendettement risquent de se multiplier et la consommation de corriger ses actuels excès"
  • Emmanuel Ferry (Exane) : "on a du mal à expliquer une telle évolution" car "tous les déterminants traditionnels sont mal orientés". Et de rappeler "la confiance médiocre, l'emploi en stagnation, la faible augmentation du pouvoir d'achat du revenu disponible, la faible crédibilité du gouvernement". De plus, la France ressemble à "une économie de bazar": une "économie de consommation sans innovation", avec une "préférence pour les biens importés produits dans les régions à bas coût de main d'oeuvre", et une "polarisation de l'économie sur des secteurs à faibles gains de productivité", ce qui se traduit par un fort déficit commercial.
D'accord, toutes ces remarques ne sont pas fausses et les remarques des deux autres économistes interrogés par Reuters sont moins catastrophistes. Mais l'argumentaire de Touati (les bons chiffres prouvent en fait que les choses vont de plus en plus mal) est d'autant plus frappant qu'il chante à longueur de colonnes les louanges d'une économie américaine dont les déséquilibres sont largement aussi importants : confiance médiocre (check), emploi en stagnation (check), faible augmentation du pouvoir d'achat (check), faible crédibilité du gouvernement (check), fort déficit commercial (check).

Je ne dis pas que les économistes français devraient se tranformer en "cheerleaders" à l'américaine. Mais, entre l'optimisme béat des observateurs américains et l'incurable pessimisme des analystes européens (c'est la même chose, en pire, en Allemagne), il devrait être possible de trouver un juste milieu, non?

Add. : en commentaires, Stat me rappelle que les chiffres sont en fait donnés en volume, donc corrigés de l'inflation. Ce qui est évidemment exact (pdf).

Deux remarques : à première vue, la progression de la consommation en France est d'autant plus impressionnante. Mais, à bien y réfléchir, on peut effectivement se demander, avec Emmanuel Ferry, si l'augmentation en volume ne cache pas simplement une baisse des prix et une stagnation en valeur qui serait beaucoup plus réconciliable avec les autres indicateurs macroéconomiques. En ce sens, la progression de la consommation en produits manufacturés (et en particulier en textile et en biens d'équipement de la maison) serait simplement le reflet de la baisse massive des prix des tee-shirts chinois et des lecteurs de DVD.

Baisse qui est, évidemment, une bonne nouvelle pour le consommateur mais on peut se demander, au vu de la stabilité du rythme d'inflation, si elle n'est pas compensée par une hausse des prix des autres biens et des services. Et les chiffres de l'INSEE (pdf) semblent confirmer cette hypothèse. Au total, on assiste peut-être plus à une déformation de la structure de la consommation qu'à une croissance réellement vertigineuse de la consommation dans son ensemble.