28 septembre 2005

Mécomptes publics 

Je ne sais pas si cela fait aussi partie des choses qu'il n'a pas apprises à l'ENA, mais Jean-François Copé fait preuve d'un art consommé du passage entre les gouttes. En mars 2004, sa peu glorieuse défaite aux régionales d'Ile de France avait été éclipsée par les déboires de la droite dans ses bastions ligérien et picto-charentais. En février dernier, le tumulte autour de l'affaire Gaymard avait paradoxalement contribué à faire passer au troisième plan ses propres combines immobilières. Cette semaine, c'est le concert de réprobation qui a suivi les pitoyables propos du Garde des sceaux qui vont réduire à néant l'attention qu'on aurait dû prêter aux surprenantes déclarations du ministre délégué au Budget :
Jean-François Copé propose la mise en place d'une "norme" pluriannuelle de progression des dépenses publiques englobant les dépenses des collectivités locales pour enrayer la dérive de la dette. [...]

"En ce qui concerne la France, je crois qu'une première étape pourrait consister à essayer de nous doter d'une norme d'évolution indicative pluriannuelle de progression des dépenses publiques", a-t-il ajouté. "Cette norme serait celle qui nous permettrait d'amorcer la décrue de notre ratio de dette".
On remarquera l'emploi d'une technique déjà bien rôdée par le gouvernement Villepin : annoncer à grand fracas la mise en place d'instruments qui existent déjà. Parce que la France a l'obligation, depuis 1998, de déposer chaque année un "programme de stabilité" auprès de la Commission européenne. Programme qui présente les perspectives triennales d'évolution des finances publiques, qui englobe évidemment les finances des collectivités locales et quil contient bien sûr une "norme d'évolution indicative pluriannuelle de progression des dépenses publiques" (voir pdf, page 6).

Naïvement, je pensais que le ministre chargé du Budget aurait dû être au courant. Mais c'est vrai que le programme est remis à la Commission au mois de décembre, et que Copé n'est à Bercy que depuis la toute fin novembre 2004 : cet épisode a dû lui échapper l'année dernière alors qu'il était occupé à déballer ses cartons. Et on peut difficilement reprocher au ministre d'un gouvernement qui ne voit pas plus loin que le bout de la prochaine conférence de presse de ne pas s'occuper des dossiers du prochain trimestre.

Par contre, il est tout à fait possible, et même souhaitable, de lui reprocher l'abyssale indigence de son argumentaire visant à faire endosser au collectivités locales la responsabilité de la dérive des comptes publics :
"Pour la quatrième année consécutive, les dépenses de l'Etat (...) connaîtront une progression rigoureusement égale à l'inflation prévisionnelle (+1,8%)".

"Mais pour poursuivre l'assainissement de nos finances publiques, l'effort de l'Etat doit s'accompagner d'une mobilisation de tous", a-t-il ajouté. Les dépenses des collectivités locales "ne peuvent pas continuer d'augmenter de plus de 3% par an en volume (...) ni leur fiscalité de plus de 20%, comme ça a été le cas pour les régions en 2005".
Reprenons : la dette, c'est du stock de déficit. Le déficit, c'est une différence négative entre les recettes et les dépenses. Donc, augmenter les dépenses ne provoque un déficit que si les recettes n'augmentent pas au même rythme. De même, faire stagner les dépenses en volume ne permet pas de faire baisser le déficit si les recettes baissent en volume dans le même temps. Reprocher aux "collectivités locales" (c'est-à-dire aux méchants présidents de région socialistes, hein, pas au maire de Meaux ou à son prête-nom) d'augmenter à la fois leur déficit et leurs recettes est donc pour le moins étrange.

Surtout que, comme le sait sans aucun doute l'ancien co-auteur d'un manuel de finances locales, la dette des collectivités territoriales est minime par rapport à celle de l'Etat, comme le montrent les derniers chiffres publiés par la DGCL (pdf) :



On notera que la dette des administration publiques locales a été stable, en valeur, de 1998 à 2003 (à considérer les seules collectivités territoriales, elle baisse même de 8% sur la période). Que celle de l'Etat a augmenté de 28% dans le même temps. Et qu'un ministre qui tente de mettre la "spirale de l'endettement" sur le compte des collectivités locales nous prend, en conséquence, vraiment pour des crétins.