14 septembre 2005

Public-privé : le match 

Emmanuel Davidenkoff résume aujourd'hui dans Libé le volumineux rapport de l'OCDE sur l'éducation en seulement 8 vrais / faux. Ca se lit vite, c'est intéressant et parfois étonnant, mais il me semble qu'une affirmation en particulier mérite quelques précisions :
Les écoles publiques et privées font jeu égal

Faux. «La composition socio-économique» des établissements privés, partout dans le monde, leur permet d'obtenir de meilleurs résultats.
Mais, évidemment, c'est n'est pas la bonne façon d'aborder le problème. Ce qui compte pour l'observateur extérieur, et pour les parents qui doivent choisir où scolariser leurs enfants, est de savoir qui du public ou du privé est le plus performant à composition socio-économique égale.

C'est par exemple ce qu'a fait l'Education nationale avec la mise en place d'indicateurs qui visent à apprécier la valeur ajoutée des lycées, par exemple en comparant le taux attendu de réussite au bac compte tenu de la composition socio-économique des effectifs et le taux effectivement atteint. Tel lycée des beaux quartiers qui affiche 85% de réussite au bac pourra ainsi être jugé peu performant si le taux attendu était de 95% (et/ou que l'écrémage visant à ne pas amener jusqu'au bac les élèves les plus faibles est important). Au contraire, un lycée de ZEP qui affiche un taux de 50% alors que le taux attendu n'était que de 30% sera considéré comme très performant au vu de son recrutement.

C'est aussi avec ce genre de méthode qu'on peut montrer que les universités réservées aux noirs avant la déségrégation raciale aux Etats-Unis et qui sont encore aujourd'hui considérées comme des "universités poubelles" présentent en fait des résultats tout à fait honorables, voire excellents, au vu de leur recrutement.

Mais revenons à la question posée dans l'article de Davidenkoff. Comme on pouvait s'y attendre, la littérature économique sur le sujet des performances respectives des écoles privées et publiques est aussi volumineuse que contradictoire. Une recherche rapide sur Google Scholar permet ainsi de rassembler les éléments suivants (tous les résultats présentés sont évidemment corrigés de la composition socio-économique des établissements) :
  • Les écoles publiques obtiennent des résultats supérieurs aux écoles privées au Botswana (mais les auteurs estiment que cela est dû au développement récent des établissement privés et que l'écart va se résorber avec le temps).
  • Au Chili (pdf), où un système de voucher (chèque-éducation) a été mis en place par la dictature militaire de Pinochet en 1980, les écoles privées non-confessionnelles sont moins performantes (au niveau des résultats scolaires) que les écoles publiques mais plus efficientes (le coût y est moindre pour obtenir un résultat donné). Au contraire, les écoles catholiques sont légèrement plus performantes que les écoles publiques mais pas plus efficientes. Cela dit, les auteurs notent que les écarts restent faibles et qu'il est impossible d'identifier une augmentation des performances due au surcroît de concurrence sur le marché scolaire.
  • Aux Etats-Unis, une étude trouve des résultats inférieurs pour les écoles religieuses par rapport aux écoles publiques, mais des résultats clairement supérieurs pour les écoles privées non-confessionnelles. Les auteurs remarquent également que le passage par une école privée religieuse permet d'augmenter les résultats des élèves issus de "minorités ethniques".
  • Dans la même veine, Caroline Hoxby (pdf) met en évidence des résultats supérieurs pour les "charter schools" (qui correspondraient grosso modo à du privé sous contrat mais non-confessionnel en France) par rapport aux écoles publiques.
  • Une étude sur 19 pays (pdf) basée sur les résultats de l'enquête PISA de 2000 (tests pour des élèves de 15 ans) montre que les établissements privés sous contrat sont plus performants que les établissement publics, qui ont obtiennent eux-même des résultats supérieurs aux établissement privés hors contrat. Les auteurs estiment que la surperformance du privé sous-contrat s'explique avant tout par un meilleur "climat" scolaire : moindre absentéisme des enseignants et des élèves, plus faible niveau d'indiscipline et de violence. Evidemment, il serait très intéressant de savoir comment les établissements privés arrivent à de meilleures performances sur ce point.
Et en France, où la part des élèves scolarisés dans le privé est, contrairement à ce qu'on pourrait croire, très stable sur les 20 dernières années?


Source : Education & formations, juin 2005

Un récent mémoire de DEA (pdf) dirigé par Thomas Piketty concluait, un peu à rebours du reste de la littérature citée plus haut, à une efficacité supérieure du public sur le privé. Que les allergiques à l'école "libre" ne se réjouissent pas trop vite, cependant : d'une part, l'étude ne porte que sur l'enseignement primaire; d'autre part, l'auteur montre que la présence d'établissements privés dans un secteur géographique donné semble pousser à la hausse les résultats des élèves scolarisés dans le public. Ce qui semble accréditer la thèse d'un petit effet positif de la concurrence scolaire, à moins que cela ne confirme l'efficacité des stratégies parentales du type "si tu ne me ramène pas un meilleur bulletin le trimestre prochain, je t'envoie chez les curés".

Par ailleurs, une étude plus systématique (pdf) sur l'ensemble du cursus primaire et secondaire publié dans la revue Education & Formations du ministère de l'Education nationale en juin 2004 montre que les élèves qui font toute leurs scolarité dans le privé obtiennent des résultats légèrement supérieurs à ceux qui sont scolarisés dans le public. Cela dit, l'auteur constate un élément surprenant (mes italiques) :
L’effet positif associé toutes choses égales par ailleurs à une scolarité effectuée entièrement dans le privé ne caractérise pas la totalité du cursus. Il ne s’observe pas au niveau de l’accès en seconde générale et technologique : à caractéristiques de départ comparables, les élèves du public et ceux du privé ont une probabilité comparable d’accéder à cette classe à l’issue du collège. C’est donc exclusivement dans le second cycle de l’enseignement secondaire que se constitue l’avantage des élèves du privé par rapport à leurs camarades du public.
Voilà donc, au bout de cette longue note, une stratégie optimale (totalement spéculative, certes, mais qu'importe) à offrir aux parents lecteurs de Ceteris Paribus et qui n'ont pas -comme son auteur- de scrupules républicains à l'égard de l'enseignement privé : mettre ses enfants dans le public jusqu'à la troisième (pas la peine de payer plus cher pour un résultat équivalent), dans le privé ensuite (mais éviter le privé hors contrat). Reste à savoir pourquoi que le privé est apparemment plus efficace au niveau du lycée et pas avant. Serait-ce parce que le facteur "climat scolaire" est d'autant plus important à ces âges-là?