18 novembre 2005

Appelez-le Docteur 

Félicitations à Justin Vaïsse qui a brillamment soutenu cet après-midi sa (longue) thèse sur le néoconservatisme en général et sur la Coalition for a Democratic Majority et le (deuxième) Commitee on the Present Danger en particulier.

La soutenance a été très riche en analyses pointues et en anecdotes étonnantes sur le mouvement néoconservateur, mais je souhaiterais revenir sur deux points en particulier.

D'abord, comme le soutient Justin Vaïsse dans la conclusion de sa thèse, il me semble effectivement possible et fructueux de rapprocher par certains aspects le néoconservatisme américain au jacobinisme français. C'est vrai non seulement parce que le néoconservatisme allie un universalisme démocratique avec un patriotisme féroce, mais aussi parce que les néoconservateurs (à l'opposé des réalistes ou des libertariens) ont une foi qu'on peut juger démesurée dans la capacité de l'Etat à transformer les sociétés, et le monde. On se rappellera à ce propos les fameuses (et souvent mal interprétées) phrases d'un conseiller de Bush, cité par Ron Suskind dans un article du NYTM d'octobre 2004 :
The aide said that guys like me were "in what we call the reality-based community," which he defined as people who "believe that solutions emerge from your judicious study of discernible reality." I nodded and murmured something about enlightenment principles and empiricism. He cut me off. "That's not the way the world really works anymore," he continued. "We're an empire now, and when we act, we create our own reality. And while you're studying that reality - judiciously, as you will - we'll act again, creating other new realities, which you can study too, and that's how things will sort out. We're history's actors . . . and you, all of you, will be left to just study what we do."
Un autre élément de séparation entre les néoconservateurs et la coalition dominante du parti républicain (évangélistes et milieux d'affaires, pour brosser le tableau à très gros traits) est leur rapport à l'élitisme. Denis Lacorne, qui faisait partie du jury de thèse, rappelait ainsi que la formation intellectuelle de nombre de néoconservateurs a été en partie assurée par des professeurs (notamment Allan Bloom) qui défendaient une vision élitiste de la démocratie, dans la lignée de la philosophie de Leo Strauss. Il est possible d'en retrouver des traces aujourd'hui : par exemple, un argument récurrent des néocons dans le contexte de la guerre en Irak est celui du "noble mensonge" emprunté à Platon, qui absout les princes éclairés qui trompent l'opinion dès lors que leur motivations sont justes.

Le degré de "straussianisme" des néoconservateurs qui étaient particulièrement actifs auprès de Bush, Cheney et Rumsfeld de 2001 à 2004 est certes une question qui est très débattue : Justin Vaïsse renvoyait à l'ouvrage de Vernet et Frachon qui soutient que l'influence réelle de Strauss sur les néocons est très exagérée (cela dit, un article antérieur des deux auteurs insiste davantage sur les racines straussiennes du néoconservatisme). Mais il me semble que le biais élitiste est une vraie spécificité du mouvement néoconservateur actuel, surtout quand on le compare aux discours des élus républicains et des représentants de la droite chrétienne, qui passent leur temps à tonner contre les élites des médias, des universités et de "Washington".