31 janvier 2006

Coup d'Etat rémanent 

François Brutsch avait raison! N'écoutant que sa légendaire servilité, le Conseil constitutionnel s'est prêté de bon gré à la manoeuvre de mise au pas du Parlement décidée par le gouvernement :
Saisi par le Premier ministre, dans les conditions prévues par le second alinéa de l'article 37 de la Constitution, d'une demande tendant à l'appréciation de la nature juridique du deuxième alinéa de l'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 "portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés", aux termes duquel : "Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ", le Conseil constitutionnel en a déclaré le caractère réglementaire par sa décision n° 2006-203 L du 31 janvier 2006.
Le sens de la décision ne faisait quand même guère de doute, quoi qu'en pensait Didier Maus qui soutenait hier qu'on pouvait s'interroger sur le caractère normatif de la disposition. Et il n'est pas que douteux, contrairement à ce qu'affirmait François, que le recours à la procédure de délégalisation visait surtout à ménager la sensibilité d'une majorité UMP qui aurait peu apprécié de devoir abroger une disposition qu'elle avait votée l'année dernière.

Ce qui est vraiment intéressant, en l'espèce, est que la décision semble préciser l'étendue des pouvoirs du juge constitutionnel saisi d'une demande de délégalisation. Dans sa tribune pour Le Monde, Didier Maus s'était demandé si le Conseil ne devrait pas déclarer règlementaire l'ensemble de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 :
De manière originale, le premier ministre n'a pas saisi le Conseil constitutionnel de la totalité de l'article 4. Il comporte, en effet, un alinéa 1 qui dispose que "les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de laprésence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite" et un alinéa 3 prévoyant que "la coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée". Si la procédure engagée aboutit — ce qui est probable — à la suppression de l'alinéa 2, les deux autres alinéas demeureront. Certes, leur contenu politique est faible et leur portée normative encore plus incertaine, mais la lecture du futur article 4 ainsi amputé méritera un véritable décryptage. L'alinéa 2 porte application de l'alinéa 1, tandis que l'alinéa 3 contient un encouragement à constituer des "archives orales". Le principe d'intelligibilité des lois, dont le non-respect est désormais sanctionné par le Conseil constitutionnel, voudrait que l'article 4 de la loi du 23 février 2005 soit considéré comme un tout.
Un passage du commentaire (autorisé) aux Cahiers du Conseil constitutionnel semble répondre précisément à cet argument (mes italiques) :
L'article 4 de la loi du 23 février 2005 est issu d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale dans sa séance du 11 juin 2004.

Aux termes de cet article (dont les premier et troisième alinéas n'étaient pas compris dans la demande de déclassement)
Sous-entendu : la procédure de délégalisation interdit au Conseil de statuer ultra petita. La situation est différente dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, dans la mesure où le juge constitutionnel s'estime saisi de l'ensemble de la loi déféré, et peut donc soulever d'office des griefs qui ne sont pas évoqués par les auteurs de la saisine.