10 janvier 2006
Versac se montre légèrement sceptique quant au diagnostic d'Alexandre Delaigue à propos de ce qu'il faut attendre (ou pas) du basculement d'une partie des cotisations sociales sur la valeur ajoutée :
Sur la fin, il en rajoute dans le noir et le sombre, pour jeter un peu tout ça aux oubliettes de l'histoire, en prétextant le jeu à somme nulle, et en tablant sur l'habitude française de faire tellement d'exceptions que la réforme en deviendrait inutile (ce qui n'est pas faux, mais ne parle pas du fond du sujet).J'ai tendance à être davantage d'accord avec Alexandre Delaigue sur le fond, quand il dit que la mesure ne mérite ni un excès d'honneur, ni un excès d'indignité. On a l'air de découvrir le sujet aujourd'hui mais, comme le rappelaient hier soir les invités de l'Economie en questions, Lionel Jospin avait déjà commandé au printemps 1998 un rapport sur le sujet du financement de la protection social au Conseil d'analyse économique. Et le texte rédigé par Edmond Malinvaud se montrait très sceptique quant à l'intérêt d'une contribution sur la valeur ajoutée des entreprises :
Provoquant une baisse du coût réel du travail et une hausse du coût réel d'utilisation du capital, l'introduction de l'assiette valeur ajoutée aurait bien par ailleurs un effet positif sur lemploi à travers les substitutions ; mais ce serait un effet faible, d'un ordre de grandeur comparable à celui résultant de réformes moins risquées [70 000 emplois à terme], telle une diminution équivalente du taux des cotisations assises sur la masse salariale jointe à une augmentation du taux de la CSG.Ajoutons à cela le fait qu'il est préférable, a priori, d'utiliser un véhicule fiscal existant plutôt que de créer une nouvelle taxe ainsi que les risques non-négligeables d'évasion fiscale et on voit mal ce qu'il y à sauver de cette contribution sur la valeur ajoutée.
Cela dit, et je rejoins davantage Versac sur ce point, il me semble que l'attitude typiquement delaiguienne à ne voir aucun repas gratuit nulle part peut avoir ses limites. D'abord, de façon générale, parce que la croissance économique qu'ont connue les pays développés depuis deux siècles (principalement grâce au progrès technique au sens large) est l'exemple par excellence de l'existence d'un gigantesque repas gratuit (parce qu'elle permet de produire beaucoup plus de biens et de services pour une quantité donnée de ressources), dont nous dégustons avec plus ou moins de reconnaissance les miettes tous les jours.
Ensuite parce que le système fiscal est l'un des lieux privilégiés où l'on est susceptible de trouver des repas gratuits, parce que la structure de l'imposition compte autant pour l'activité économique que le niveau absolu des prélèvements obligatoires. C'est la raison pour laquelle les économistes sont généralement très favorables à des réformes qui consistent, à rentrées fiscales constantes, à élargir l'assiette de l'impôt sur le revenu tout en baissant les taux nominaux (ce qui avait était fait aux Etats-Unis en 1986). C'était aussi l'un des arguments de Peter Lindert pour montrer que l'Etat providence peut, en termes de croissance, ressembler à un repas gratuit : contrairement à ce qu'on croit généralement, l'imposition est très peu progressive en Europe et le capital y est beaucoup moins taxé qu'aux Etats-Unis.
Une dernière chose : la note d'Alexandre Delaigue rappelle très justement, en convoquant des anciens et toujours salutaires articles de Paul Krugman, que :
L'argument "ce sont les secteurs de haute technologie qui vont être pénalisés" [...] est contestable. Au plan mondial, "haute valeur ajoutée" est devenu dans la novlangue des commentateurs synonyme de "haute technologie". Peu de gens se sont avisés de se demander ce que signifie "valeur ajoutée" et ce qu'implique "haute valeur ajoutée par travailleur". La valeur ajoutée d'une entreprise est la différence entre son chiffre d'affaires et le coût de ses achats. Une haute valeur ajoutée par travailleur signifie que chaque salarié de l'entreprise "génère" beaucoup d'argent. Ce qui signifie en clair qu'il s'agit d'une entreprise qui utilise pour produire beaucoup de machines et peu d'employés; en d'autres termes, il s'agit des secteurs industriels arrivés à maturité.Pour l'affligeant Yves de Kerdrel et pour les autres qui continuent à assimiler "secteur à haute valeur ajoutée" avec "secteur que l'Etat doit subventionner pour que la France puisse survivre dans la jungle de la grande compétition mondiale", voilà donc ce qu'on trouve (cliquer pour agrandir le tableau) en divisant le chiffre d'affaires par branche donné par l'INSEE par le nombre d'employés à temps plein.
Comme le suggère le titre de la note, la France aurait un intérêt évident à lâcher les secteurs en-dessous de la moyenne (comme... la recherche et le développement ou la "construction navale, aéronautique et ferroviaire", c'est-à-dire, entre autres, Airbus) et à se spécialiser dans le secteur de la vente et de la location des biens immobiliers.
Cela dit, le chiffre très élevé qu'on trouve pour la "location immobilière" pose quand même problème. La fiche sectorielle de l'INSEE pour l'année 2002 (pdf) donne une valeur ajoutée par personne occupée (en équivalent temps plein) de 161 k€. C'est beaucoup plus que la moyenne mais on est loin des 1,4 millions que donne le calcul sur les chiffres des comptes nationaux. J'avoue ma grande perplexité. Et un certain agacement contre l'INSEE, faute d'avoir trouvé un tableau de correspondance entre les branches (au sens de la comptabilité nationale) et les secteurs d'activité (au sens de la NAF).
Mis en ligne par Emmanuel à 23:39 | Lien permanent |